KAPITAL

Medtech et biotech: les entreprises romandes en pointe

La Suisse romande compte 750 entreprises actives dans les technologies du vivant. Un pôle scientifique et entrepreneurial dont la réputation ne cesse de s’accroître.

Le futur de la médecine se joue aussi dans la campagne fribourgeoise. En bordure du village de Villaz-Saint-Pierre, dans un bâtiment ultramoderne au milieu des champs, RegenHU développe des imprimantes 3D pour le domaine médical. Elle participe au rêve de chercheurs du monde entier: utiliser l’impression 3D pour fabriquer des organes vivants implantables sur des patients. Pour la PME de 11 employés, le potentiel commercial est à la hauteur de l’intérêt médiatique: elle a déjà séduit des clients de tous les continents et vendu une quarantaine de ses machines.

RegenHU fait partie des quelque 750 sociétés qui ont transformé la Suisse romande en pôle de l’innovation médicale. Elles bénéficient d’un environnement hors du commun, une concentration d’acteurs qui a valu à la région le surnom de «Health Valley». On y trouve plus de 500 laboratoires privés et publics, 5000 chercheurs, des parcs scientifiques, des incubateurs, deux hôpitaux universitaires et des hautes écoles. «Selon nos estimations, le secteur représente environ 25 000 emplois», précise Benoît Dubuis, président de Bioalps, la plateforme des sciences de la vie de Suisse occidentale, et directeur du Campus Biotech de Genève.

De la start-up à la multinationale établie depuis des décennies, les entreprises se répartissent en deux catégories. Une partie oeuvre dans le domaine des technologies médicales, un secteur qui produit dispositifs médicaux, instruments de laboratoire, prothèses ou implants. L’autre se consacre aux biotechnologies.

Contrairement à la région bâloise, essentiellement centrée sur l’industrie chimique et pharmaceutique, la Suisse romande se démarque par sa diversité. «Elle possède une longue histoire dans la médecine et la biologie — il suffit d’observer le nombre de rues de Genève qui portent le nom d’illustres scientifiques — et aussi dans la microtechnique, souligne Benoît Dubuis. La maîtrise du petit et du complexe, héritée de la tradition horlogère, s’est muée en compétence clé pour le domaine des technologies médicales.»

Un savoir-faire de pointe

«Aujourd’hui, la Suisse romande profite pleinement d’un savoir-faire de pointe dans des domaines allant de la biologie aux systèmes d’information, en passant par la médecine, la chimie et les micro et nanotechnologies. Le dynamisme de la région s’appuie sur les synergies entre ces différentes disciplines, qui permettent l’émergence de nouvelles solutions pour les patients. L’exemple du stent (une prothèse servant à maintenir les vaisseaux ouverts, ndlr) illustre bien cette convergence: il s’agissait lors de ses premières utilisations dans les années 1980 d’un simple dispositif métallique. Aujourd’hui, on greffe sur sa surface des molécules pour le rendre plus efficace.»

La «Health Valley» attire entreprises et investissements. Le groupe biotechnologique belge UCB Farchim a consacré plus de 300 millions de francs à la construction d’une nouvelle unité de production à Bulle, dans le canton de Fribourg. L’immense bâtiment de 24 000 m2, soit plus de trois terrains de football, devrait être inauguré courant 2014. A une échelle plus modeste, global imaging, une PME parisienne de 80 collaborateurs, spécialisée dans les systèmes informatiques dédiés à l’imagerie médicale, a ouvert une filiale à Lausanne fin 2012.

«Etre présent en Suisse fait office de carte de visite, indique Patrick Pirazzoli, directeur de global imaging. Cela renvoie une image positive de la société. On connaissait depuis longtemps les universités et hôpitaux de la région. Depuis quelques années, on pense aussi à la Suisse romande comme un pôle de développement scientifique et technologique. La Suisse représente un marché intéressant pour nos produits. C’est pour la recherche et le développement que nous avons choisi de nous y implanter. Nous mettons en place des collaborations avec divers centres d’expertise pour faire avancer nos projets, notamment dans le domaine du big data et du data mining.» Pour pouvoir bénéficier du réseau local rapidement, global imaging a installé ses locaux à l’Innovation Park de l’EPFL.

Le lien entre industries et milieux académiques et hospitaliers constitue l’une des spécificités de la région. Les entreprises misent sur le dialogue bien établi entre public et privé. C’est notamment le cas de Medtronic, un des leaders mondiaux des technologies médicales, dont le siège européen ainsi que trois unités de production se trouvent en Suisse romande. «Nous entretenons des contacts très riches avec les universités, les écoles d’ingénieurs et les médecins, commente Eric Gasser, le porte-parole du groupe. Nous travaillons avec ces partenaires sur de nouvelles thérapies, pour améliorer nos outils de production et pour des études cliniques. Nous collaborons aussi avec des dizaines de PME de la région.»

Soutiens pour les start-up

«Les chercheurs ne s’enferment pas dans leur tour d’ivoire, renchérit Hervé Lebret, responsable d’innogrants à l’EPFL, un programme de bourse pour start-up. L’EPFL a toujours été proche de l’économie et des PME locales.» au sein de la grande école lausannoise, la relation est même entretenue par une unité d’une vingtaine de personnes, la vice-présidence pour l’innovation et la valorisation. «Elle met de l’huile dans les rouages. Les PME peuvent lui exprimer leurs besoins. Elles sont ensuite mises en contact avec le laboratoire adapté. Inversement, un chercheur peut trouver de l’aide s’il voit un potentiel de commercialisation de ses idées.»

Les structures d’aide aux start-up et les moyens financiers à disposition représentent un autre ingrédient clé du système. «Ce qui est possible ici ne le serait pas forcément ailleurs, note Hervé Lebret, car plusieurs outils ont été mis en place: soutiens cantonaux, fédéraux — comme la Commission pour la technologie et l’innovation — ou provenant des écoles, fondations, prix et business angels. De nombreux investisseurs se sont par ailleurs spécialisés dans les sciences de la vie, comme le fonds Vinci Capital.»

Hervé Lebret note toutefois qu’obtenir du financement reste «plutôt difficile» en Suisse, en comparaison avec les Etats-Unis par exemple. «Le niveau d’investissement est demeuré bas ces dernières années, observe Francesco de Rubertis, associé dans le secteur des sciences de la vie pour la société d’investissement index Ventures. Mais les indicateurs sont désormais au vert. On devrait assister à un afflux de nouveaux capitaux qui profitera aux PME d’une certaine taille et, par ricochet, aux jeunes pousses qui se lancent sur le marché.»

Concurrence intensifiée

Malgré cette conjonction d’éléments favorables, la «Health Valley» n’est pas à l’abri de coups durs. Tout le monde a encore en mémoire la fermeture du site genevois de l’entreprise pharmaceutique allemande Merck Serono en 2012, et la disparition de 1250 emplois. La société annonçait alors le transfert d’une partie des postes de recherche genevois vers Boston et Pékin pour «tirer parti […] du pôle d’excellence biotechnologique de Boston, et assurer un développement clinique de pointe dans les marchés en croissance». Autre défection: le groupe biopharmaceutique irlandais Shire a annoncé en novembre 2013 qu’il quittera Eysins, dans le canton de Vaud, où il s’est installé en 2010 et emploie 220 personnes, pour Zoug.

«Retenir les sociétés étrangères constitue un challenge, relève Benoît Dubuis. Il faut éviter les entreprises «hors sol», qui profitent de la région pour une période limitée avant de repartir.» D’autant plus que la concurrence étrangère ne cesse de s’intensifier. «Hier, des pays comme l’inde, la Chine et le Brésil étaient considérés comme des centres de production. Aujourd’hui, on réalise qu’ils ont bien plus à offrir et que leur niveau d’innovation augmente fortement. La Suisse romande doit impérativement rester attractive et flexible, éviter d’instaurer de nouvelles barrières politiques et administratives. Dans cette optique, le vote pour la réintroduction de quotas de travailleurs étrangers le 9 février dernier représente un mauvais signal.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.