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Se moquer des femmes, se moquer du monde

La balourdise d’Ueli Maurer, ministre des sports et de la défense, démontre que nous vivons bien au paradis – où il est dit que les derniers seront les premiers.

A force, on finira par trouver cet homme-là sympathique. Tant il les collectionne, les aligne, jour après jour, comme peu avant lui dans une classe politique où tout n’est que retenue, cynisme, calcul et contrôle de soi. Oui, tant Maurer enchaîne les faux pas, les pataquès, les incongruités, les naïvetés. Tant aussitôt, pour des peccadilles certes grotesques, le monde entier ou presque lui tombe dessus.

Le monde entier, c’est-à-dire la presse de boulevard et l’ambassadeur de Suède. Lequel craint qu’Ueli le mal dégrossi ne finisse par mettre à terre ce qu’il s’acharne à défendre, et qui fait la fierté de tous les Suédois. Non pas le modèle social, non pas le souvenir d’Olof Palme, non pas les chefs d’œuvre de Zlatan Ibrahimovitch, encore moins la légendaire skieuse lesbienne dont le nom est Pärson, ni bien sûr les auteurs de bons romans policiers qui semblent se renouveler générations après générations. Non, ce que ce balourd de Maurer par sa balourdise met en péril, ce n’est rien d’autre que l’indépassable avion Gripen.

Les plus récents forfaits du bonhomme s’avèrent particulièrement odieux. Cette innocente plaisanterie, par exemple, perpétrée toujours dans le noble but de faire avaler le fameux avion à une population de plus en plus réticente, une banale comparaison entre l’obsolescence programmée des machines de guerre et des ustensiles ménagers, à l’exception, a-t-il cru fin de préciser, de son inusable épouse.

Aïe, ouïlle, tout un gratin de femmes de tête lui sont immédiatement tombées dessus, non sans une certaine condescendance. «Je m’inquiéterais plus si la déclaration émanait de quelqu’un d’extrêmement intelligent», assène l’une. «Cela confirme qu’il représente la Suisse du passé», diagnostique l’autre. «Waouh incroyable, cela me glace. On est gouverné par un gros lourd dans un Etat dinosaure», feint de découvrir une troisième.

On aurait presque pitié: personne ne lui avait donc dit au dinosaure que non, cela ne se faisait plus, les bons vieux witz raillant amicalement le sexe faible et docile. Sans compter que cette légèreté de cantine, cette finesse de caserne, achève de salir tout. Se moquer des femmes, c’est se moquer en réalité du monde, et chacun s’en retrouve éclaboussé. C’est encore une femme qui le dit, la présidente du Salon du livre, qui s’inquiète que «le paternalisme impayable d’Ueli Maurer se retourne contre nos pilotes de chasse.» On tremble effectivement pour eux.

Maurer à l’évidence n’a pas compris, ou pas voulu comprendre, qu’un tas de nouvelles idoles étaient devenues désormais intouchables, même à travers un bon mot de fin de soirée. Il n’y pas que les femmes et les pilotes: on ne touche pas non plus aux footballeurs. Le ministre des sports s’est ainsi vu vertement reprocher par les milieux concernés de n’avoir pas assisté à la dernière finale de la coupe de Suisse, comme le veut une tradition remontant sans doute au Moyen-âge.

Ueli-la-gaffe a aggravé son cas en prétextant des obligations personnelles qui l’auraient empêché de se rendre au stade. Comme si un Conseiller fédéral pouvait ainsi impunément poser un lapin aux demi-dieux du foot un lundi de Pâques. Qu’avait-il d’ailleurs de plus important à faire cet après-midi là? Peindre des croix suisses sur des œufs blancs? Ceux pourtant qui ont vu ce pitoyable Bâle-Zurich, un sommet d’ennui, une purge administrée sous la pluie, devront reconnaitre que pour une fois Ueli avait bien senti le coup.

Et puis, qu’un personnage aussi naïvement primitif et décalé, aussi innocent, dans le sens paysan du terme, parvienne à se hisser au sommet de l’Etat, cela ne se peut que dans un univers rêvé, une aimable contrée de bisounours, un rafraîchissant monde de Oui-oui. Un pays où les périodes consacrées à allaiter seront désormais rémunérées et les gains au jeu bientôt exemptés d’impôts. Au paradis, donc.