Entre les parlementaires UDC en goguette à Téhéran, les subtils supporters du FC Zurich et les modestes promoteurs en Lavaux, le point est plus commun qu’on pense. Gare à la surchauffe cervicale.
Des anciens ou des toujours parlementaires UDC — des Rime, des Baettig, des Nidegger, on en passe et des plus lourds — en goguette du côté de Téhéran, qui parlent à tort et à travers au nom de la Suisse, sans aucun mandat officiel. Il faut dire que se croire à elle seule la Suisse, au nom de Dieu sait quel mandat divin, est l’un des péchés même pas mignons de cette phalange qui semble vouloir oeuvrer sans relâche à écorner, si pas ridiculiser, l’image et la réputation de la Confédération.
Des fanatiques d’une équipe zurichoise qui sèment la désolation en ville de Berne un jour de finale de Coupe, prouvant malgré les dénégations du club qu’ils sont bien des supporters de série Z.
La «branquignolitude» se porte bien, merci.
Le terme «branquignol», nous rappelle le Dictionnaire de la langue française, est «associé à tout individu qui ne réfléchit que peu à ses actes et à leurs conséquences. L’attitude du branquignol peut paraître folle [Psychologie]. Ex: Ce branquignol a encore plongé dans l’eau en plein hiver». Quant à l’étymologie, la voici: «Dérivé de branque, «individu qui se laisse berner», sans doute de l’argot piémontais branci, «âne», avec suffixe plaisant -ignol.»
Qu’on se rassure: les politiciens UDC et les amateurs de ballon rond n’ont pas le monopole de la baignade idiote ni du dialecte piémontais. Que dire des concepteurs du nouveau tunnel de Rosshäusern, un chantier à 250 millions, qui, lorsqu’il sera mis en service (avec 18 mois de retard), raccourcira le trajet entre les villes de Berne et Neuchâtel d’une minute et demie? Et que penser de la manif des chauffeurs routiers protestant contre l’engorgement des autoroutes? Un peu comme si Al-Qaïda protestait contre la recrudescence des attentats à la voiture piégée.
Notons, puisque l’on parle de dialecte, que les Démocrates suisses vont tenter en votation populaire d’éjecter le Hochdeutsch des jardins d’enfants argoviens. Avec ce fort argument: «Le «Mundart» est notre langue, il doit être soigné et soutenu. Imposer une langue étrangère perturbe l’apprentissage des élèves.» Le fait que, souvent, plus de la moitié des bambins soient d’origine étrangère rend ce «notre» un peu ramollo. La Suisse n’est pas, n’est plus, n’a jamais été — sauf peut-être en 1291 — composée que de mâcheurs de gravier. Mais c’est sans doute là une des caractéristiques du branquignol: se croire seul au monde.
Le débat, c’est sûr, est plus complexe qu’il peut sembler du point de vue welsch. Comment en effet nos délicates oreilles bercées par la langue de Molière et capables de trouver quelques suavités à celle de Goethe, pourront-elles jamais comprendre cette remarque d’une éducatrice argovienne: «Quand il s’agit de réprimander un élève par exemple, je préfère le faire en dialecte, c’est plus doux. En Hochdeutsch, cela paraît tellement sévère.» Le dialecte plus doux! De nos cousins germains, on aura décidément tout entendu.
Les branquignols d’ailleurs sévissent indifféremment d’un côté et de l’autre de la Sarine. A propos de l’énième votation sur le sempiternel sauvetage de Lavaux, deux promoteurs immobiliers se montrent catégoriques dans les colonnes du Temps: «Le marché va bien, les prix surfaits sont redescendus», dit l’un. «Je ne vois pas où serait la surchauffe ni la spéculation», confirme l’autre. Un exemple cité plus bas confirme également: «A Lutry, un vaste appartement de 230m2 en résidence et avec jardin privatif vient de passer de 8’200 à 8’000 francs par mois.» D’où on en conclura que le branquignol sait, quand il le veut, se contenter de peu.
Les Branquignols enfin — Georges Perec s’en souvient — furent une troupe de comédiens dirigée par Robert Dhéry et qui comptait dans ses rangs Louis de Funès, Jean Lefebvre, Jean Carmet, Jacqueline Maillan, Michel Serrault, Micheline Dax ou encore Pierre Tornade. Avec des films et des spectacles dans les années 50 et 60 qui faisaient à la fois et avant l’heure du Benny Hill et du Monty Python. Dont un trop oublié «Vos gueules les mouettes». Aujourd’hui hélas, ce ne sont plus les seules mouettes qu’on rêverait de voir fermer leur grand bec.