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Sondages à gogos

Enquêtes, études d’opinion, publicité: comment on nous renseigne à tort et à travers sur l’état de la société suisse.

On connait la chanson. Des études plus ou moins scientifiques réalisées par des spécialistes plus ou moins sérieux aboutissant à des résultats plus ou moins fiables selon des méthodologies plus ou moins contestables. Mais censées nous éclairer de manière définitive sur nos manières de vivre et de penser, de souffrir et de mourir, d’aimer et de haïr, voire de consommer, ou de voter. Entre autres sujets frivoles.

Soyons justes: certains de ces coups de sonde se révèlent plus éclairants que d’autres. Ainsi cette étude récente réalisée par un psychiatre londonien sur la consommation de drogues, légales ou non, dans 18 pays, dont la Suisse où 5133 personnes de 16 à 60 ans — parmi lesquelles 15% de Romands — ont été interrogées. On ne tombera évidemment pas de la chaise en apprenant que l’alcool est la drogue la plus consommée en Suisse, suivie par le tabac, les boissons énergétiques, le cannabis, l’ecstasy et la cocaïne.

Le diable, c’est-à-dire la vérité en l’occurrence, serait plutôt dans les détails. Ainsi sur les 18 pays ayant participé au sondage, la Suisse est celui où, d’après les témoignages, l’on est le plus souvent arrêté pour possession ou consommation de cannabis. Mais aussi celui où une telle interpellation a le moins de suites sérieuses. Alors qu’aux Etats-Unis, les sondés, pour 20% d’entre eux, ont raconté avoir subi de fâcheuses conséquences, notamment sur leur emploi.

Ce qui nous met face à deux conceptions de la répression: une manière suisse de faire, où l’on flique beaucoup mais punit peu, et une autre qu’on appellera non-suisse, où l’on contrôle moins mais sanctionne davantage. A chacun, selon son degré de fantasme sécuritaire et son idée de la justice, de se faire une religion: une surveillance sans punition à la fin, ou une liberté qui se paye cash lorsqu’on est rattrapé par la maigre patrouille.

Un autre volet de la même étude met curieusement en évidence que sur un point au moins, les fils de l’oncle Sam s’avèrent bien plus subtils que les enfants de la vieille Europe et de l’Antique Confédération: dans leur manière de consommer le cannabis. La façon la plus toxique semble-t-il est de le mélanger avec du tabac. C’est pourtant ce que font 91% des amateurs suisses de grande évasion et de petit fumette. Contre seulement 7% de leurs homologues ricains. «Les Etats-Unis ont les fumeurs de cannabis les plus intelligents», conclut impitoyablement l’étude. L’habituelle cohorte des contempteurs de la beaufitude US pourront toujours rétorquer qu’on a les supériorités que l’on mérite.

On voit l’ampleur et la profondeur des débats que ce genre de recherches peut susciter. Mais il y a pire, ainsi que l’a démontré, malgré lui, le sondage choc de l’institut gfs.bern, assurant que seuls 17% de la tranche des 18-30 ans s’étaient déplacés aux urnes lors de la votation du 9 février sur l’abolition de la libre circulation. Contre pas loin de 80% pour les 50-69 ans. Allez-vous étonner après cela de résultats de votation qui sentent le moisi. Et chacun de déplorer le désintérêt coupable des jeunes têtes de linottes pour la chose publique.

Sauf, comme l’a montré le politologue Pascal Sciarini, que les vrais chiffres seraient plutôt de 30% de participation pour les plus jeunes votants, proportion à peu près habituelle depuis des lustres. Le chiffre erroné de 17% semblerait dû au fait que le sondage a été réalisé en appelant des numéros de téléphones fixes, une façon de communiquer dont les moins de 30 ans font un usage plus que modéré.

Notons que la publicité nous renseigne tout aussi sûrement sur la nature du bouillon où nous nous sommes censés patauger. «Domaine Public» ayant contesté la réalité des noms d’usagers utilisés par les CFF lors d’une campagne de selfies, la régie a rétorqué en assurant que Xenja Widmer, Joy-Ann Judge, et Jill Mara existaient bien. «Ce n’est pas forcément la campagne des CFF qui est « postmoderne », comme le pense Domaine Public, note au passage Le Temps, mais plutôt les habitudes des gens dans le choix des prénoms.» Ce qui nous amènera à rappeler qu’en juin prochain au Brésil le sort de l’équipe de Suisse de football sera largement entre les mains de Granit, Blerim, Valon, Pajtim et Xherdan. Des prénoms à consonance moins postmoderne que réellement albanaise.