buy cialis sydney

Un bras d’honneur à l’Ukraine

La classe politique suisse fait assaut de tiédeur dans l’affaire de Crimée. Ou quand la neutralité se résume à ne plus défendre qu’un principe: la loi du plus fort.

C’est évidemment embêtant. Pour une fois que Didier Burkhalter pouvait se faire valoir. Quand même, président de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) même pour une seule année, ça vous donne de la voix, de la visibilité et une certaine responsabilité. Sauf qu’à ce titre, la Suisse et son président Burkhalter doivent se coltiner la crise ukrainienne. Et cet exercice acrobatique: ne pas fâcher Poutine, tout en faisant semblant de froncer les sourcils, histoire de ne pas passer pour une lavette neutre ne respectant au fond qu’un seul vrai principe: la loi du plus costaud.

D’autant que cette condamnation douce de la main mise russe sur la Crimée, Burkhalter ne se l’autorise qu’en tant que président momentané de l’OSCE, qualifiant du bout des lèvres le scrutin d’autodétermination du 16 mars «d’illégal». En tant que président de la Confédération, c’est tout autre chose. Carrément motus et les yeux fermés. Le Conseil fédéral prend ainsi officiellement note des sanctions européennes contre la Russie — déjà pas bien méchantes — et promet d’y réfléchir un jour, plus tard, peut-être.

Le Conseil fédéral aurait bien tort de se gêner. D’un bout à l’autre de l’échiquier, la classe politique cache à peine son mépris pour la nouvelle Ukraine et sa trouille de froisser l’admirable Monsieur Poutine. Chacun alors fait assaut qui de prudence, qui d’hypocrisie, qui de militantisme obtus, qui enfin de tout cela un peu à la fois. Avec cette morgue habituelle envers les peuples à l’est qui rêvent simplement, bêtement, d’un état de droit.

C’est ainsi que le conseiller national Roland Rino Büchel, de l’UDC saint-galloise, assène que «vouloir être au centre des négociations de paix ne s’accorde pas avec des sanctions». D’autant plus courageux et cohérent que, la Crimée prise, il n’y plus rien à négocier. On ne parlera pas de la motion déposée par Freysinger suppliant le Conseil fédéral de ne surtout pas faire ami-ami avec «les néo-fascistes» au pouvoir à Kiev. Le grand Oskar relayant la propagande des néo-kagébistes de Moscou, on doit cette amusante nouveauté sans doute à la plume serbe et acerbe de son conseiller Slobodan Despot, néo-romancier. Il est vrai qu’en Europe, Poutine est devenu une icône aussi bien à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche.

La gauche traditionnelle ne se montre pas plus glorieuse et ressort son inusable et pavlovien anti-américanisme pour se laver les mains de toute cette affaire, ajoutant même à son dédain, ce qui est nouveau, Bruxelles. Tel un Carlo Sommaruga pontifiant, à propos des sanctions contre la Russie, que «la Suisse n’a pas à s’inscrire dans la politique des Etats-Unis ou de l’Union européenne». Quant au radical Hugues Hiltpold, il fait preuve de la pugnacité inhérente à ceux de sa chapelle: «La Suisse peut offrir ses bons offices tout en restant neutre.»

La palme de la clairvoyance froide, pour ne pas dire du cynisme au petit pied, revient au PS Manuel Tornare, à propos de cette autre difficulté — répondre ou non à l’invitation des Russes de venir célébrer ce printemps à Moscou le bicentenaire des relations diplomatiques entre la Suisse et la Russie: «On peut serrer la main de Poutine sans la lui lécher.» Mais peut-être pas sans adresser dans le même moment un joli bras d’honneur aux Ukrainiens.

Saluons tout de même pour une fois l’habileté du Conseil fédéral. Qui a su trouver, après l’OSCE, un deuxième paravent derrière lequel se cacher pour toussoter contre Poutine. Johann Schneider-Ammann a ainsi annoncé que les quatre pays de l’AELE — Suisse, Lichtenstein, Islande et Norvège — allaient interrompre leurs négociations avec la Russie en vue d’un accord de libre-échange. Sans s’associer naturellement aux sanctions voulues par l’UE. Le Tsar de toutes les Russies, et désormais d’un peu plus, doit sûrement en trembler sous sa chapka.

Dans un beau texte publié par la NZZ et le Temps, l’écrivain russe résidant en Suisse Mikhaïl Chichkine soulignait, entre autres, ceci: «Les Ukrainiens ont su dire à leur gouvernement de voleurs «Dehors la bande!», mais pas nous. Bien sûr que ça fait envie.» Visiblement pas à tout le monde.