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Les ennemis de l’intérieur

Hasard du calendrier parlementaire, trois populations supposées à risques se sont fait rincer la tête le même jour: les banquiers, les étrangers et les hooligans des stades. Avec des indulgences diverses.

Rien ne les unit, rien ne les rassemble. Sauf peut-être qu’on pourrait, très abstraitement, les qualifier de populations à risques. Si pas, en cas d’humeur particulièrement chagrine, d’ennemis de l’intérieur. Sur lesquels le monde politique doit rester très attentif et naturellement légiférer sans état d’âme et coûte que coûte.

En un seul jour de session parlementaire, récemment, ce sont ainsi les banquiers, les étrangers et «les supporters incivils » — ces décérébrés généralement chauves qui enfument des stades de foot déjà pas bien croquignolets ou des patinoires glaciales — qui sont passés au tourniquet. Pour ne pas dire à la franche moulinette.

Nos pauvres banquiers d’abord, cible incessante du monde entier depuis des mois. Assommés par 30 voix contre 4 au Conseil des Etats. La potion de cheval de la doctoresse Widmer-Schlumpf est ainsi entérinée, qui visait à mettre aux normes internationales les pratiques bancaires suisses en matière de blanchiment. En gros, il va être très difficile, voire impossible désormais pour une banque d’accepter comme clients mêmes les fraudeurs les moins ambitieux.

Mais ces ennemis-là — les banquiers donc — faisant carrément partie du folklore et surtout du paysage économique national, les députés ont multiplié les amendements adoucissants, avec notamment des sanctions pénales réduites à peu de chose. Gronder la poule en somme mais sans casser les oeufs d’or. Au risque finalement de manquer le but de l’exercice: se conformer aux règles de l’OCDE et autres gendarmes du monde. Mais faire comme si, tout en ne le faisant pas vraiment, a toujours été une des constantes et la marque d’un certain génie politique suisse.

Les vilains étrangers ensuite. Là, ça paraît plus facile au premier abord. Le peuple a fait savoir haut et fort, que, comme dirait l’autre, ça commence à bien faire. En réalité tout se complique. Pudiquement, le Conseil national a renvoyé au Conseil fédéral la révision de la loi sur les étrangers avec ce message tacite: «Débrouillez-vous pour nous retricoter tout ça.» Sous-entendu: à la sauce UDC.

Le 9 février a en effet tout changé. Et notamment la notion d’intégration qui devait être la pierre angulaire de la révision. En gros, d’une intégration qui pouvait être un but à atteindre, on passe à une intégration qui devient une condition préalable d’entrée au paradis. Bref, le degré zéro de la politique migratoire, l’intégration étant souvent, comme le rappelle l’écologiste Ueli Leuenberger, une notion que «chacun interprète comme il veut». Là aussi le grand méchant flou est programmé. Mais cette fois sans doute pas au profit des intéressés.

Nos amis les hooligans enfin, ces «supporters incivils», expression qui recèle peut-être bien un pléonasme: un supporter civil supporte-t-il encore quoi que ce soit? Trois millions de dégâts en tout cas commis par année dans les transports publics. Devant le refus ou la mauvaise volonté des clubs d’engager leur responsabilité vis-à-vis du comportement de leurs supporters non seulement autour et dans les enceintes sportives mais aussi dans les transports, l’idée a germé d’infliger une interdiction pure et simple de circuler à ces énergumènes.

Ces fauteurs de troubles-là ont pourtant leurs défenseurs. Telle la jeune verte bernoise Aline Trede, estimant que fermer la porte des wagons CFF aux nez des méchants supporters, c’est surtout courir le risque de l’ouvrir à d’autres interdictions. Les ivrognes et autres jeunes turbulents ont-ils vraiment leur place à bord de nos trains immaculés? Là aussi on hésite, on tâtonne, on ne tranche pas. On entre certes en matière mais pour mieux refiler la patate bouillante à un Conseil fédéral chargé d’imaginer une solution intelligente.

Rien ne les unit, rien ne les rassemble et tous visiblement ne sont pas traités avec la même indulgence. Sauf que rien n’empêche quiconque, si cela lui chante, d’être à fois banquier, étranger et supporter incivil.