LATITUDES

Le plagiat, une pratique qui se banalise

Les scandales de plagiat, comme celui qui a touché l’Université de Neuchâtel, se multiplient. Certains chercheurs se demandent s’il ne faudrait pas revoir entièrement la notion d’originalité.

En avril 2013, Philippe Gugler, vice-recteur de l’Université de Fribourg, est accusé de plagiat. Ses chroniques, publiées dans le quotidien La Liberté, seraient largement inspirées de textes parus dans le journal français Le Monde. Mai 2013, la conseillère nationale Doris Fiala (ZH) se retrouve dans la même situation: son mémoire de fin d’études à l’EPFZ comprendrait plusieurs centaines de pages sans attribution de sources. Juillet 2013, Sam Blili, professeur à l’Université de Neuchâtel, est lui aussi traité de plagieur: son livre «La Suisse qui gagne» serait une copie de diverses sources qu’il a omis de mentionner. Après avoir été suspendu plusieurs mois, il va finalement réintégrer l’université.

Ces scandales illustrent l’ampleur du phénomène. «Internet et les ordinateurs ont transformé les modes de production de la connaissance, explique Denis Billote, secrétaire général de la Conférence universitaire de Suisse occidentale. Il est bien plus facile de plagier qu’autrefois.» La possibilité de copier et coller un texte en une fraction de seconde, de chercher des textes dans des bases de données quasi infinies ou encore la dématérialisation des livres et articles ont rendu ce délit bien plus aisé à commettre.

Cadence infernale 

La majorité de la communauté scientifique soutient une lutte féroce contre cette forme de délinquance académique. «Les plagieurs doivent être traqués et ils ne doivent en aucun cas être pardonnés», tonne Michelle Bergadaa, professeure de marketing à l’Université de Genève qui a lancé un mouvement international de lutte contre le plagiat sur internet. De son côté, l’Académie suisse des sciences s’est armée d’une série de recommandations pour repérer et punir la copie. Les universités multiplient pour leur part les chartes éthiques, les séminaires de sensibilisation et le déploiement de logiciels de détection informatique de la copie, comme EVE2.

Mais ces moyens de lutte sont plus qu’imparfaits, car ils ne traitent pas les causes profondes du phénomène. Pour certains chercheurs, le plagiat serait le symptôme d’une société malade. «Aujourd’hui, nous nous trouvons dans une société de la production, analyse Susan Blum, une anthropologue à l’Université de Notre-Dame, aux Etats-Unis. Les chercheurs, tout comme les journalistes, doivent écrire et publier de plus en plus. Le cas du reporter américain Fareed Zacharia est emblématique: noyé sous le travail, il a commencé à engager des assistants, a perdu le contrôle sur sa production et s’est retrouvé au cœur d’un scandale de plagiat. La même chose arrive dans le monde académique. Les chercheurs doivent toujours plus publier et n’arrivent plus à tenir la cadence.»

Face à cette pression, plus d’un cède à la tentation du plagiat. Le problème est accentué par un changement de perspective du côté des étudiants. «Aujourd’hui, ils veulent juste décrocher un diplôme pour trouver un travail bien rémunéré à la fin de leurs études, explique Susan Blum. Ils perçoivent l’université de façon purement utilitaire. Le plagiat devient un moyen d’optimiser leur temps et la qualité de leur travail.»

Prévenir la fraude

Face à ces défis, certains professeurs ont développé des outils qui visent davantage à éviter le plagiat qu’à le punir. «Nous essayons de tester les connaissances des étudiants d’une manière différente, explique Silna Borter, professeure de méthodologie à la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud. Les étudiants doivent réaliser des travaux pratiques.» Par exemple, un élève devra créer un site internet lors d’un cours sur la communication, au lieu de rendre un travail purement académique.

Denis Billote cherche, lui, à sensibiliser les étudiants en amont. «Ils doivent comprendre la gravité de ce délit. Un travail universitaire permet de prouver que l’on sait réfléchir et concevoir un contenu intellectuel. Le plagiat démontre que l’on est un incapable.» Les jeunes académiciens doivent également saisir les conséquences d’un tel acte: «Normalement, un plagiat n’a pas de conséquence pécuniaire, mais cela peut briser la crédibilité d’une personne, voire sa carrière. Il faudrait que les étudiants prennent conscience de cela.» Denis Billote a commencé à intégrer ces aspects dans la formation des doctorants en Suisse romande.

Renverser le concept

Dans le fond, vaut-il encore la peine de lutter contre un phénomène qui fait désormais partie intégrante du processus académique? «Revendiquer la possession d’une phrase car on est le premier à l’avoir formulée ne fait plus vraiment sens, estime Susan Blum. Il serait plus intelligent de renverser complètement la notion de plagiat et ne plus attribuer la propriété de telle ou telle formulation à qui que ce soit.»

Vincent Salvadé, professeur spécialisé en droit d’auteur à l’Université de Neuchâtel, trouve l’idée séduisante: «Un principe fondamental aujourd’hui souvent oublié, en droit, stipule qu’une personne peut reprendre à son compte le travail d’une autre à une condition: le cœur de sa pensée — ce qui fait son originalité — doit être modifié. Un retour à ce genre d’interprétation permettrait de se concentrer sur la créativité de la pensée.»
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La perception de la tricherie dépend de la culture

Le plagiat est perçu différemment selon les pays et le contexte socio-culturel. Ainsi, les Suisses auraient un très haut degré de sensibilité à la justice et condamneraient beaucoup plus fermement la tricherie que les ressortissants d’Europe de l’Est. C’est ce que démontre un projet de recherche actuellement mené par Anna Lupina-Wegener et Silna Borter de la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud.

Depuis 2012, les chercheuses ont passé au crible plus de 800 cas de tricherie académique en Suisse, en Pologne et en Ukraine. Les premiers résultats révèlent que les étudiants suisses montrent des attitudes nettement plus négatives envers ce genre de délits que leurs homologues polonais ou ukrainiens. «Pour les Suisses, l’idée qu’une récompense se mérite est bien ancrée, commente Anna Lupina-Wegener. En revanche, les Polonais et les Ukrainiens n’évaluent pas l’attribution de la récompense en fonction des efforts personnels et leur tolérance est plus élevée face à la tricherie. Notre étude suit son cours pour tenter de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents.»
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Collaboration: Barbara Santos

Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 6).