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Les chasseurs d’astéroïdes

La fondation B612 veut protéger la planète des météorites, dont l’une a fait un millier de blessés en Russie cette année. Elle projette de lancer un satellite pour prévenir cette menace.

En 1969, l’astronaute américain Rusty Schweickhart sort dans l’espace pour 47 minutes — et panique: «Je me suis rendu compte à quel point la Terre est vulnérable, raconte-il quarante ans plus tard. Cette sphère bleu et blanc qui luisait au bout de la galaxie semblait si petite et si fragile. Quand vous la regardez depuis l’espace, vous pouvez effacer ce coin de l’Univers rien qu’avec votre pouce. A ce moment précis, j’ai réalisé que tout ce qui compte dans notre vie dépend de cette minuscule chose.»

Un projet est né de cette expérience: la fondation B612. Rassemblant chercheurs et anciens employés de la NASA et de compagnies de la Silicon Valley, l’organisation veut chasser les astéroïdes qui menacent de détruire notre planète. En juin 2012, B612 — qui a pris le nom de l’astéroïde du «Petit Prince» d’Antoine de Saint-Exupéry – s’est fixé un objectif concret: lancer un satellite dans l’espace pour les détecter.

L’idée pouvait paraître farfelue et rappeler fictions hollywoodiennes et autres fantasmes de fin du monde. Mais deux événements survenus le même le jour, le 15 février 2013, ont changé la donne: la chute d’un astéroïde d’environ 17 m de diamètre à Tcheliabinsk au sud-est de Moscou, qui a blessé un millier de personnes, ainsi que le passage d’un autre objet spatial presque deux fois plus gros (et indépendant) dénommé DA 14 à 27’000 km de la surface de la Terre — soit dix fois plus proche de nous que la Lune.

Un nombre croissant de scientifiques met en garde contre ces dangers. «Les astéroïdes qui détruiraient la planète sont rares, mais d’autres à même de détruire une ville, un pays, ou même un continent le sont moins, souligne Margaret Campbell-Brown, une astronome de l’Université de l’Ontario de l’Ouest (Canada) spécialiste de l’impact des météorites. Nos systèmes de détection actuels ne sont pas efficaces: nous n’avions pas du tout prévu l’arrivée de la météorite russe.»

La Terre aveugle

Cette situation, la fondation B612 ne l’accepte pas. «La Terre est notre vaisseau spatial, et nous ne disposons d’aucun hublot pour voir ce qui se passe en dehors, déclare sa porte-parole Diane Murphy. En pratique, nous sommes aveugles, et notre but est de régler ce problème.» La fondation veut lancer un satellite (le bien nommé «Sentinel») qui pourrait répertorier 90% des astéroïdes d’une taille de 140 m, et 50% de ceux mesurant 50 m. «Cela peut paraître ridicule. Mais ces petits objets sont capables de détruire une ville entière», relève Diane Murphy. L’objectif est de l’envoyer à bord d’une fusée commerciale Falcon 9 d’ici à 2017 ou 2018.

Sentinel complétera le travail réalisé par d’autres agences spatiales jusqu’à présent. En 1995, le Congrès chargeait la NASA de surveiller le ciel, en partie sur l’impulsion de Rusty Schweickhart. Aujourd’hui, l’agence estime avoir repéré 94% des astéroïdes de 1 km, capables de détruire la planète entière, mais uniquement 5% des objets célestes d’une taille égale ou supérieur à 140 m et 0,2% des astéroïdes de 45 m. La NASA ne peut pas en faire plus: «En ce moment, la pression budgétaire de l’agence est trop élevée», relève Clark Chapman, un astronome de l’Université du Colorado à Boulder et membre du conseil d’administration de B612.

Le modèle du satellite sera basé sur le télescope Kepler, lancé en 2009 par la NASA pour découvrir des exoplanètes. Mais son orbite sera différente: au lieu d’accompagner la Terre sur sa trajectoire autour du Soleil, «il se trouvera à une distance comprise entre 48 et 260 millions de kilomètres de nous, proche de l’orbite de Vénus, explique Rusty Schweickhart. Le satellite aura le Soleil dans le dos afin de pouvoir observer sans gêne les astéroïdes susceptibles d’entrer en collision avec la Terre.» Il analysera le spectre infrarouge, qui permet de détecter plus facilement les astéroïdes, car ceux-ci absorbent près de 80% de la lumière dans l’espace, explique Diane Murphy: «Ils sont noirs mais relativement chauds et se détachent donc du froid qui règne dans l’espace.» Une stratégie que la NASA — qui fournit une aide technique à l’organisation — juge crédible.

Trouver un demi-milliard de dollars

Le premier défi de la fondation sera financier: B612 doit trouver 450 millions de dollars d’ici à 2018 pour lancer son satellite. La mission semblait impossible mais les astéroïdes de février ont redonné espoir à la fondation.

«Depuis, le parlement américain a demandé à nous rencontrer, tout comme l’Organisation des Nations unies. Des donateurs privés nous appellent aussi de tous les coins de la planète», raconte Diane Murphy. La porte-parole estime pouvoir récolter 20 millions de dollars d’ici à décembre 2013, une somme importante — mais encore bien loin du total.

La durée de la mission de Sentinel sera de six ans et demi. «Le satellite nous permettra d’établir une carte dynamique de notre système solaire, poursuit Diana Murphy. Nous pourrons prédire les trajectoires d’astéroïdes plusieurs années en avance, parfois plusieurs décennies.» Un temps qui s’avère crucial s’il fallait agir et tenter de dévier un astéroïde menaçant: à de telles distances, un changement infime de sa vitesse (moins d’un centième de m/s) pourrait suffire pour éviter une collision avec la Terre.

Un canon sur la Lune

Mais comment, en pratique, dévier un astéroïde? «La mission devra être déléguée à des instances gouvernementales», explique Clark Chapman. Des doutes planent encore sur les méthodes à employer. La fondation envisage deux solutions: la NASA pourrait employer un tracteur de gravité, à savoir un vaisseau spatial qui déplacerait l’astéroïde sans le toucher (uniquement grâce à l’infime force gravitationnelle qu’il exerce) ou elle pourrait envoyer une navette pour entrer en collision avec l’objet spatial et modifier sa trajectoire. D’autres procédés plus surprenants sont également évoqués, comme l’installation d’un bazooka sur la lune, l’envoi d’une bombe atomique ou encore le fait de peindre l’astéroïde en blanc pour que l’impact de la lumière du Soleil modifie la course de l’objet.

Mais certains experts sont sceptiques. «Ces solutions sont purement théoriques et n’ont jamais été testées, estime Georges Meylan, directeur du laboratoire d’astrophysique de l’EPFL. Concrètement, nous ne savons pas exactement que faire si un astéroïde vraiment menaçant se dirige vers la Terre.» Clark Chapman rappelle également «qu’un astéroïde de trop grande taille serait impossible à dévier – B612 ou pas. La seule chose à faire dans ce cas serait de prier. Et de s’amuser avant la fin.»
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Météorites: chronologie des événements majeurs

-66 millions d’années
L’impact d’un astéroïde dans la région du Yucatan (Mexique) crée un cratère de 180 km de diamètre et aurait pu provoquer l’extinction des dinosaures.

1490
Près de 10’000 personnes seraient décédées dans la province du Shanxi (Chine) à la suite d’une «pluie de pierres» — un météore qui aurait explosé dans l’atmosphère en de nombreux petits morceaux.

1908
Un météore explose au-dessus de la région de Tunguska (Sibérie), détruit 2’000 km2 de forêt et tue des rennes mais aucun être humain.

1937
L’astéroïde Hermès passe à près de deux fois la distance avec la Lune.

2008
L’astéroïde 2008 TC3 est le premier à être détecté par les humains avant son arrivée dans la sphère terrestre. Il se volatilise au-dessus du Soudan.

15 février 2013
Une météorite s’écrase en Russie alors que DA 14 passe à 30’000 km de la Terre.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.