Après l’alcool, le tabac, la nourriture, voilà que l’Etat et les entreprises s’inquiètent de la durée et de la qualité de notre sommeil. La dictature menace.
«Si tu passes au lit huit heures par jour, ça veut dire que le sommeil réduit ta vie d’un tiers. Ca revient au même que de mourir à cinquante ans, et ça concerne absolument tout le monde. Ce n’est pas juste une maladie, c’est une vraie peste! Et personne n’est immunisé, tu comprends?», lit-on dans «La maison du sommeil », la satire sociale de Jonathan Coe. Peste ou remède, le sommeil? Peste aux yeux de Margaret Thatcher qui dormait trois heures par nuit, remède pour Lionel Messi qui en a besoin de douze.
Pourquoi dormons-nous? Le sommeil a toujours fasciné. La réponse semble simple: nous dormons car nous sommes fatigués et, après une nuit de sommeil, nous avons récupéré. Est-ce là sa seule fonction? Jamais autant de scientifiques ne se sont penchés sur la question. Leurs réponses: le sommeil est indispensable au développement cérébral, permet d’assurer un grand nombre de fonctions métaboliques et influence le système immunitaire. Limiter son temps de sommeil expose donc à des risques. La perte de vigilance, les problèmes de mémoire et d’apprentissage, le surpoids, le diabète ou encore les maladies cardio-vasculaires figurent sur une liste qui ne cesse de s’allonger. Même la qualité du sperme serait corrélée précisément aux heures de sommeil, selon 15 mg cialis.
Que de risques un sommeil tronqué fait-il courir à la population! Pas surprenant dès lors que la Confédération incite désormais ses fonctionnaires à suivre des «ateliers de gestion du sommeil». La Suisse ne fait pas cavalier seul; en Grande-Bretagne, le système de santé offre depuis quelques temps déjà des cours de sommeil. Outre-Manche, on craint que le capitalisme ne meure, non de ses contradictions, comme Marx le pensait, mais parce que les CEO sont éreintés et prennent de mauvaises décisions, comme s’en alarme le Guardian avec un humour très british. L’une de ses journalistes, très endettée en matière de sommeil, a suivi un cours mis sur pieds par la NHS (National Health Service). Elle y a appris les rudiments de «l’hygiène du sommeil»: dormir huit heures. N’associer son lit qu’au sommeil. Pas de TV, d’ordinateurs, de smartphone et même de livres sur le matelas…
Dans le secteur privé, le repos du personnel est également l’objet de préoccupation. Ainsi, lors d’une conférence TED, Arianna Huffington lie la productivité, l’épanouissement et le succès à un bon sommeil. La fondatrice du Huffington Post a d’ailleurs fait installer pour ses employés des espaces dédiés à la sieste.
«Combien d’heures dormez-vous?», «Vous levez-vous la nuit pour faire pipi?», de telles questions pourraient faire leur apparition demain dans les entretiens d’embauche. A l’heure de choisir entre plusieurs candidats, pourquoi opter pour une personne en déficit chronique de sommeil ou, pis encore, souffrant de nycturie? Depuis le dernier Congrès européen d’urologie de Milan qui s’est tenu en mars, on ne saurait ignorer que les personnes qui se lèvent la nuit ont une productivité inférieure de 24%.
Face à de telles intrusions dans la vie privée, la «dictature de la santé» n’est pas loin. Juli Zeh prévoit son avènement pour le milieu de notre siècle. Dans «Corpus Delicti», la juriste et écrivaine allemande décrit une société où l’on ne se dit plus «Bonjour!» mais «Santé!», car le principal devoir civique consiste à se préoccuper de sa santé, devenue la valeur suprême. Quant à la liberté, les deux personnages principaux de son ouvrage apprennent, à leur dépens, qu’elle a déserté les lieux.