KAPITAL

Féminiser, un choix payant

Les femmes aux postes de direction et d’encadrement sont aujourd’hui un atout pour la rentabilité des entreprises cotées, comme en attestent plusieurs études. Eclairage.

Les hautes sphères du monde des affaires, traditionnellement réservées aux hommes, seraient-elles en train de découvrir les vertus du management au féminin? Ce n’est certes pas encore un raz-de-marée, mais les grandes entreprises cotées semblent de plus en plus favorables à placer des femmes aux commandes. EasyJet, IBM, Yahoo!, pour citer les firmes les plus visibles, ont récemment rejoint ce club.

La tendance se répercute d’ailleurs sur le classement annuel «Fortune 500» des plus grandes entreprises américaines: on y recense cette année 18 femmes CEO (soit 3,6%), alors qu’elles étaient 10 il y a six ans (2%). Une progression encore bien faible en valeur absolue, mais qui vaut aussi par son aspect symbolique, surtout s’agissant d’entreprises très renommées.

Dans le lot, les banques et les géants technologiques sont aujourd’hui les premiers à placer des femmes à des postes exposés. En cédant au cynisme, on pourrait d’abord y voir une démarche marketing visant à donner à l’entreprise une image plus humaine. Mais ce serait occulter la vérité des faits: les femmes aux commandes améliorent la rentabilité!

Ce constat ressort de diverses études qui établissent un lien entre performance boursière et présence féminine. Une enquête menée par le Credit Suisse Economic Research Institute, publiée le 31 juillet dernier, en fait la démonstration empirique: depuis la crise de 2008, les cours des sociétés qui comptent au moins une femme à leur direction surperforment nettement les autres. «Nous avons analysé 2400 sociétés depuis 2005, détaille Mary Curtis, auteur de l’étude de Credit Suisse. Parmi les entreprises présentant une capitalisation de plus de 10 milliards de dollars, une différence de performance de 26% au cours de la période sous revue est observée entre les entreprises à direction mixte et les autres.»

Pour expliquer ces écarts importants à partir de 2008, les auteurs de l’étude de Credit Suisse mettent notamment en avant les qualités de bonne gouvernance et l’aversion au risque observées dans les sociétés mixtes — des atouts typiquement féminins si l’on en croit d’autres travaux sur ce sujet. En effet, selon une étude réalisée en 2010 par le cabinet américain de recrutement Heidrick & Struggles, les femmes administratrices de sociétés cotées en Bourse sont «plus ouvertes à une régulation renforcée des rémunérations et de la gestion du risque, à une évaluation plus stricte de la performance des administrateurs et à une information plus transparente».

Causes biologiques

Avant même d’être corroborées par la réalité économique du terrain, ces différences entre les deux sexes dans la conduite des affaires avaient été mises en lumière dès 2008, dans des études scientifiques explicitant les racines biologiques de ces comportements. Il est apparu qu’un taux élevé de testostérone, principale hormone sexuelle mâle, incitait à une plus grande prise de risques. Les femmes présentant un taux de testostérone en moyenne 15 fois moins élevé que les hommes seraient donc naturellement plus portées vers une «gestion raisonnable». Par ailleurs, sous l’effet du stress, les femmes accroissent moins leur taux de cortisol, une hormone de stress associée à l’incertitude et à l’imprévisibilité.

Dans le domaine bancaire, les travaux du professeur Michel Ferrary de HEC Genève ont récemment confirmé l’influence de la féminisation de l’encadrement sur la stratégie d’investissement. Au total, la stratégie de 44 banques de 13 pays de l’OCDE a été évaluée sur une période de quatre ans (2007-2011). L’exemple des banques françaises constitue à cet égard un cas d’école, comme l’explique Michel Ferrary: «BNP Paribas est la banque française dont l’encadrement est le plus féminisé (44%) et Dexia celle dont l’encadrement est le moins féminisé (21%); or si la première a souvent été citée en exemple pour sa gestion des risques, notamment durant la crise des subprimes, la seconde a été la seule à recourir au soutien des pouvoirs publics, puis à faire faillite en 2011.» Entre 2009 et 2011, l’action en Bourse de BNP Paribas a par ailleurs augmenté de 57,4%, tandis que celle de Dexia baissait de 18,7%…

Quotas de femmes

Le monde politique et économique commence à réaliser le parti qu’il peut tirer d’un plus grand nombre de femmes aux fonctions dirigeantes. Au printemps 2009, l’Islande s’est distinguée en nommant deux femmes, Elin Sigfusdottir et Birna Einarsdottir, à la tête des banques dont les faillites avaient ruiné le pays. L’an dernier, le Parlement français a pris le même chemin, en votant une loi imposant, dans les six ans, un quota de 40% de femmes dans la haute fonction publique. Au-delà de la promotion de l’égalité, cette politique de quotas pourrait servir directement les intérêts économiques. Certaines entreprises l’ont bien compris, en encourageant d’elles-mêmes la féminisation de leur encadrement, sans attendre d’incitation étatique. C’est le cas de l’assureur Legal & General, l’un des plus importants investisseurs institutionnels britanniques, qui a décidé de voter contre la reconduction des membres des conseils d’administration lorsque les femmes y sont trop peu représentées.

Et en Suisse? Au niveau national, les femmes restent en moyenne peu représentées dans les conseils d’administration des entreprises (11,6% des sièges), notamment en comparaison européenne (15,6%), et plus particulièrement vis-à-vis des pays nordiques tels que la Finlande (27,1%) ou la Suède (24,4%), qui affichent des taux élevés, même sans appliquer de quotas. Une situation qui, en septembre dernier, a poussé les femmes PLR suisses, pourtant de famille libérale, à se prononcer officiellement en faveur de quotas provisoires dans les conseils d’administration des entreprises suisses cotées en Bourse. «La disparité dans la représentation des hommes et des femmes est devenue trop flagrante, dénonce Claudine Esseiva, secrétaire générale des femmes PLR. Notre démarche a reçu le soutien des Business and professionnal women (BPW) Switzerland, le plus grand réseau de femmes actives en Suisse, ce qui est une très bonne nouvelle. Il est temps d’accélérer.»
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 5).