KAPITAL

Dis-moi pourquoi tu cours

Le marathon de New York vient d’être annulé. Déception pour les milliers de participants venus concrétiser un rêve, être tendance, enrichir leur CV ou gagner des électeurs. Florilège.

Mercredi matin. L’ouragan Sandy vient de frapper New York. Mes amis Christiane et Louis m’associent, par SMS, à leur aventure: «Nous décollons enfin de Genève à 16h35. Peut-être que la distance du marathon sera réduite. Sinon on prendra des pelles pour aider ces pauvres gens qui ont tout perdu.» Samedi matin: «Ici c’est la pagaille, le marathon est annulé. Ce n’est que partie remise». Samedi midi: «Tous les Français sont fous furieux. Ils ont pris un avocat et vont se retourner contre le voyagiste.»

Comme plus de 47’000 coureurs, Christiane et Louis n’ont pas pris le départ du marathon de New York. La faute à Sandy. Mais aussi à un maire newyorkais sensible aux réactions de colère suscitées dans la population, alors que les organisateurs poursuivaient leurs préparatifs, comme si de rien était. Se dépêcher de rétablir l’électricité pour le confort des athlètes et non pour les sinistrés? Michael Bloomberg a tranché. L’histoire retiendra que le marathon a été annulé en 2012, alors qu’en 2001 il s’était couru peu après la chute des tours.

«Des milliers de connards qui n’ont pas pris le départ?» Peut-on extrapoler le verdict de Renaud sur le Paris Dakar au marathon de New York? Même s’ils prennent le sol américain pour «une cour de récré», les participants au grand rassemblement de novembre ne constituent pas forcément «un paquet d’enfoirés».

Ainsi, Christiane et Louis, entrés tous deux à l’usine à 16 ans et sexagénaires aujourd’hui, concrétisent un rêve en s’offrant le marathon le plus célèbre du monde. Que de fois la grisaille de leur quotidien s’est dissipée grâce à ce projet! Dans le charter qui devait les parachuter au paradis, ils ont fait la connaissance de Martin et de Sébastien qui s’entraînent ensemble depuis des années. Un jour, ces smicards ont eu la même idée folle: se serrer la ceinture pour s’inscrire à la course mythique.

Participer à un marathon relève d’objectifs très divers. Il suffit de promener son regard sur la ligne de départ pour observer la complexité sportive et sociale des différents blocs. Les champions en tête, les nuls derrière, puisque chaque bloc regroupe ses coureurs en fonction de leur temps déjà réalisé ou escompté sur cette distance.

En première ligne, des professionnels qui gagnent plus ou moins bien leur vie en courant cette épreuve d’endurance aux quatre coins de la planète. Juste derrière, des amateurs ambitieux qui ont tout misé sur le sport au détriment parfois de leur vie professionnelle ou privée. Le troisième bloc, le plus nombreux, est aussi le plus hétéroclite. On y trouve des victimes du dernier trend et du marketing qui va de pair. On y trouve aussi les jeunes loups, de plus en plus nombreux, qui ont intérêt à faire figurer leurs exploits sportifs dans leur curriculum vitae. Etre un «marathon finisher», ça en jette dans les entreprises. Ca permet d’être engagé. Des quinquas grisonnants sont là pour affronter, à leur manière, un démon de midi. Certains enfin sont juste des sportifs décontractés car peu soucieux de leur chrono. Ils sont là pour se faire plaisir, comme Christiane et Louis et comme sans doute aussi leurs deux nouveaux amis français.

N’oublions pas le dernier bloc, bien souvent des inconscients mal préparés qui ne savent pas ce qui les attend. Ils mettent une joyeuse ambiance sur le pont Verrazano avant de perdre leur souffle et d’abandonner dans le Bronx. Une expérience bien douloureuse du marathon.

Les caméras ignorent ces anonymes, suivent l’élite et traquent les quelques people venus se rappeler au bon souvenir des médias: chanteurs, acteurs, anciens sportifs connus ou politiciens en quête de popularité. Ainsi, Paul Ryan, le candidat républicain à la vice-présidence américaine qui a pris part à des marathons, tente aujourd’hui de tirer un profit politique de ses performances: «Deux heures cinquante et quelques. J’étais rapide, quand j’étais jeune», a déclaré le candidat.

Mais le magazine «Runners’s world» veillait. Un beau mensonge! En épluchant les résultats, le magazine a découvert un temps effectif de 4 heures 1 minute et 25 secondes. En 2004, c’est dans le camp démocrate qu’avait surgi le bluff. John Kerry avait prétendu avoir couru le marathon de Boston alors que son nom ne figure sur aucune liste de départ! «Quels connards, ces politicards!».

Champions ou néophytes, tous seront au rendez-vous l’année prochaine.