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La démocratie du tout et du n’importe quoi

Voter sur le vaccin des vaches mais pas sur les accords fiscaux avec l’Allemagne peut sembler absurde. Et si ce n’était qu’en apparence?

La démocratie ça a un prix, madame: 7,5 millions. Et c’est Casanova qui le dit. Corina Casanova, la chancelière de la Confédération, chiffrant donc à cette hauteur le coût d’un scrutin fédéral.

Pourquoi la chancelière donne-t-elle aujourd’hui ce chiffre? Parce qu’on le lui a demandé, pardi. Et si on le lui a demandé, c’est qu’un scrutin est organisé le 25 novembre, qui rend furieux à peu près tout le monde, mais pas pour les mêmes raisons.

Ce jour-là donc le peuple très souverain se prononcera sur une palpitante affaire d’épizootie. Un quarteron des paysans naturopathes s’opposent en effet à la nouvelle législation les obligeant à vacciner leurs bestiaux. Ce même jour le peuple aurait du aussi dire le fond de sa pensée sur les fameux accords «Rubik», ces arrangements fiscaux signés avec l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Autriche.

Sauf que voilà: où les zozos et ruraux naturopathes ont réussi — récolter le nombre de signatures nécessaires à la tenue d’un référendum, à savoir 50’000 — les grandes gueules de l’ASIN, opposées aux accords fiscaux, se sont lamentablement plantées, elles.

La faute, accuse l’ASIN, à la Poste, à des communes retardataires et plus ou moins genevoises, à l’UDC aussi qui ne se serait pas assez impliquée dans la récolte des précieux paraphes. Mais sûrement pas bien sûr à un quelconque amateurisme branquignol de l’ASIN.

On n’oubliera pas de mettre dans le même panier d’incurie et de déconfiture les alliés de circonstance de l’ASIN: les jeunes socialistes, la Lega tessinoise et les jeunes UDC. Un tel attelage d’écervelés suffirait déjà à faire soupçonner que la sauce Rubik ne doit pas être si mauvaise que ça.

Les plus bouillants partisans de Rubik — le PLR, les banques, les milieux économiques — peinent bien sûr à cacher l’intensité de leur soulagement. Les accords fiscaux avec nos sourcilleux voisins ne sont-ils déjà pas assez compliqués et saumâtres pour que monsieur et madame Tout-le-monde viennent encore y ajouter leurs douteux grains de sel?

Pour les autres, c’est la gêne qui prédomine devant une démocratie aux aléas un brin folkloriques et ridicules, où vacciner les vaches devient une question plus grave et importante que taxer les Allemands. Surtout que l’affaire n’en restera peut-être pas là, l’ASIN ayant déposé un recours.

On se rassurera en pensant que la démocratie directe en a vu d’autres et que la base même de ce glorieux principe se trouve peut-être bien là: dans cette absurde, cette grandiose possibilité de voter sur tout et sur n’importe quoi. Et tant pis s’il peut arriver que l’on n’ait plus à voter que sur le n’importe quoi. Tant pis pour les millions partis alors en fumée, et pour des prunes. La démocratie, comme la justice, ne gagne-t-elle pas à être aveugle?

D’autant qu’un autre scrutin, autrement sérieux, pointe à l’horizon. Un référendum des plus costauds, initié cette fois par des vrais pros du combat de rue: les grands bétonneurs des plaines alliés aux maquereaux des cimes blanches et autres requins de la construction, tous méchamment défaits par l’initiative Weber et assoiffés de revanche.

L’USAM, donc, le canton du Valais et les milieux immobiliers — avec l’appui plus ou moins enthousiaste des radicaux et de l’UDC — ne veulent pas de la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire, vue comme une «agression contre la propriété privée et le fédéralisme». Rien que ça.

Une loi en effet particulièrement retorse et terrifiante qui stipule, comme c’est déjà le cas aujourd’hui d’ailleurs, que les zones à bâtir doivent se contenter de répondre aux besoins prévisibles des 15 prochaines années.

Mais ce qui a vraiment rendus les enragés de la bétonneuse gris de fureur, c’est l’obligation désormais de redimensionner les zones à bâtir excessives et déjà existantes. Le sénateur valaisan Fournier a qualifié cette loi de «révision de la peur». De qui, de quoi, chacun complètera, selon ses œillères partisanes et ses intérêts particuliers. Mais peur de la démocratie, sûrement pas.