Le contre-projet du Conseil fédéral à l’initiative sur la caisse unique ressemble à un petit chef d’oeuvre de compromis. Qui se retrouve avec tout le monde contre lui. Cherchez l’erreur.
Ruth Dreifuss et Pascal Couchepin s’y étaient cassé les dents, qu’ils avaient pourtant longues et solides. La Lamal, on le sait, ça fait mal, et tout ministre de la santé qui s’y frotte finit par s’y piquer. D’autant mieux qu’il doit toujours finir par s’y frotter, quels que soient ses efforts pour échapper au serpent de mer.
C’est donc au tour d’Alain Berset, le Mozart du ni oui ni non, le Messi du verre à moitié plein à moitié vide, d’entrer dans le tourniquet. Avec dès le départ un handicap de taille: devoir contrer ce qui reste tout de même l’un des plus piaffants chevaux de bataille de son parti — la caisse unique. Le ministre aura déjà au moins réussi à convaincre le Conseil fédéral d’y aller de son contre-projet face à l’initiative de la gauche, des syndicats et des associations de patients, intitulée «Pour une caisse publique d’assurance maladie».
Une initiative pouvant apparaitre redoutable si l’on tient compte du ras le bol des Suisses en la matière, pressés au gousset année après année. Si l’on admet aussi l’eau mise par ce texte dans le vin de l’initiative de 2007 sur la caisse unique, repoussée violemment, à 71%, par le peuple. Avec notamment l’abandon de cette effrayante idée dans un pays de poches pleines: lier le montant de la prime au salaire. Les contorsions du ministre, un art qu’il semble maitriser, promettaient donc d’être spectaculaires.
On n’a pas été déçu: ce n’est pas à la hache mais au fin couteau de dessert qu’Alain Berset semble vouloir faire ici ce qu’il a toujours le mieux su: couper la poire molle en deux. Garder donc la sainte concurrence entre les caisses tout en mettant fin à la cynique chasse aux bons risques. Une chasse pourtant bien tentante si l’on sait, comme l’a rappelé Berset lui-même, «qu’environ 40% des assurés ne demandent rien à leur caisse tandis que 5% d’entre eux génèrent plus de la moitié des coûts».
La mesure phare du contre-projet présenté par Alain Berset au nom du Conseil fédéral est bien sûr l’idée de découpler totalement l’assurance de base des assurances complémentaires, les assureurs devant dès lors choisir: pratiquer l’une ou les autres.
La votation n’aura pas sans doute pas lieu avant 2014, mais elle promet déjà d’être une des plus férocement engagées de ces dernières années. Berset le contorsionniste risque bien de se retrouver avec le reste du monde contre lui, tant le sujet supporte peu — politiquement, économiquement et humainement — la délicatesse et la nuance.
La gauche ainsi n’en démord pas, elle s’en tiendra à son initiative. Certes l’Obélix de la caisse unique, Pierre-Yves Maillard, chante sur tous les tons les mérites de la copie livrée par son ancien rival dans la course au Conseil fédéral. Une copie qualifiée par lui de «réforme de fond» qui tout «en assurant la liberté de choix de la caisse pourrait en atténuer fortement les inconvénients». Mais c’est aussitôt pour redire tout son appui à l’initiative.
La droite dénonce déjà — les radicaux du moins — l’inutilité d’un contre-projet qui «détourne l’attention des véritables réformes» et serait une «manière détournée d’aller vers la caisse unique». Pour les radicaux comme pour les assureurs ce sera bien sûr niet à l’initiative et nein au contre-projet. Avec une touchante sollicitude, santésuisse fait remarquer que la séparation de l’assurance de base des assurances complémentaires obligerait les assurés «à effectuer toutes les démarches à double». Les assurés, enfin, excédés et saignés à vif, risqueront bien de préférer dans l’urne la solution plus drastique et défoulante de la caisse unique que les nuances en dentelles du contre-projet.
Au final, un projet astucieux, un petit chef d’oeuvre de compromis, gardant ce qui marche dans la Lamal, pour en biffer les zones sombres, se retrouve, avant même ses tours de piste devant le parlement, avec quasi tout le monde contre lui. Et ce au pays du compromis. Preuve ultime que la santé publique reste pour la popularité de n’importe quel ministre, un domaine particulièrement malsain.