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Une milice sans malice

Le système politique suisse ne se glorifie-t-il pas un peu trop de son amateurisme? Avec mention particulière aux buveurs de gentiane de l’UDC.

C’est Thierry Courvoisier, astrophysicien et prochain président de l’Académie suisse des sciences naturelles, qui se plaint: «Trop peu de culture scientifique autour de nos instruments de décision à Berne.» Pour preuve, avance-t-il dans Le Temps, le fait, par exemple, que l’homéopathie soit à nouveau remboursable dans le catalogue Lamal, alors que «des dizaines d’études ont montré que cette méthode n’était pas scientifiquement fiable».

Et de tirer donc à boulets rageurs sur le pauvre Burkhalter: «En laissant perdurer, pire en validant des croyances qui sont fausses, on décrédibilise ce qui est juste.» On est effectivement loin, dans le système suisse de milice, d’une classe politique qui confinerait au savant collège d’experts ou à la République des Sages.

Il n’y a qu’à voir par exemple à quoi le président du plus grand parti du pays est contrait d’occuper ses samedis soirs, si l’on en croit Toni Brunner dans Le Matin: à honorer de sa présence un club d’amateur de gentiane. La gnôle, pas la fleur. Avec, le dimanche à l’aube, la perspective de ses douze vaches à traire. Des électeurs à tondre, pour un président de parti, passe encore, mais des vaches à traire?

Certes Toni Brunner enjolive probablement le temps qu’il consacre encore à mettre personnellement les mains dans le fumier de son exploitation agricole. Certes aussi, traire avec la gueule de bois doit représenter une inoubliable expérience de vie, mais ne facilite sûrement pas la réflexion sur le bien fondé de l’homéopathie remboursable ou la nécessité de nouveaux avions de combat, sans parler de la façon de conquérir un deuxième siège au Conseil fédéral.

Pas plus, sans doute, qu’à comprendre le nouvel échec retentissant, dans le canton de Berne, de l’UDC, avec la déroute du conseiller aux Etats Adrian Amstutz contre un ticket virtuel PBD-socialiste. En attendant la chute, plus improbable mais tout de même possible de Brunner lui-même à Saint-Gall, pour le même conseil des Etats, face au syndicaliste Paul Rechsteiner.

Cette «bérézina» de l’UDC aux Etats, comme l’appelle 24 Heures, difficile d’en lire dans le marc de café, même arrosé de gentiane, les véritables raisons. Le monothématisme anti-étrangers de l’UDC a–t-il fini par lasser, dans un monde dont les dangers apparaissent bien plus complexes et redoutables que le péril d’une poignée de requérants en guenilles?

Ou faut-il incriminer le fait que, de tous les partis, ce soit justement l’UDC qui mette le plus en avant ses qualités miliciennes, sa façon à la suisse de faire de la politique, si proche du peuple, bref son amateurisme? Car tel semble bien être le synonyme le plus exact de «système de milice». C’est Toni Brunner, toujours, qui se vante, lui le paysan suroccupé du Toggenburg, de n’avoir que des avocats — probablement désoeuvrés — pour adversaires.

La profession en tout cas qui semble laisser au politicien de milice le plus de temps pour politiquer, serait celle de psychiatre légèrement fêlé, si l’en en croit les statistiques de la législature s’achevant: c’est en effet l’impayable et battu UDC jurassien Dominique Baettig qui s’est fendu du plus grand nombre d’interventions écrites sous la coupole — 166 en quatre ans.

Si, enfin, la légitimité de la revendication d’un deuxième siège UDC au Conseil fédéral se trouve probablement affaiblie par les mauvais résultats, cela n’empêche pourtant pas le parti, Blocher en tête, d’avancer quand même quelques noms.

Aucun psychiatre néanmoins parmi eux. Dernier poulain en date poussé sur le devant de l’hippodrome, Heinz Tännler. Avec lui, on est quand même assez loin du bon vieux parfum de milice: avocat, zougois, conseiller d’Etat, ancien juge de hockey et juriste à la FIFA, il a été blessé dans la fusillade du parlement de Zoug.

Cela faisait beaucoup, à l’aune fédérale et milicienne, pour un seul homme. Tännler a donc choisi une manière plus qu’originale d’annoncer, dans le Blick, sa candidature, comme pour laisser croire que malgré les apparences, il restait un homme, un vrai, autrement dit un milicien comme les autres, et surtout pas un expert, surtout pas un professionnel: «Oui, je suis candidat au Conseil fédéral, oui je vis séparé de ma femme et de mes enfants, oui j’ai conduit en état d’ébriété cet été.» Et si le déclin de l’UDC trouvait là ses racines? Dans cette revendication de terroir, d’incompétence et de gentiane.