LATITUDES

Moustiques: l’idée d’un génocide utile

Il est l’animal le plus meurtrier pour l’homme. Pourquoi le laisse-t-on poursuivre son massacre? Des scientifiques imaginent un monde sans moustiques.

Des nuits garanties sans bzzzzzz et sans piqûres, des vacances passées sans un arsenal chimique déployé contre un ennemi invulnérable… Et si l’on supprimait les moustiques?

Sous d’autres latitudes, cette perspective prend d’autres dimensions: des millions de vies épargnées. Véritables serial killers, ces minuscules adversaires ont déjà fait plus de victimes humaines que l’ensemble des guerres réunies. Ils représentent aujourd’hui l’espèce animale la plus meurtrière au monde: plus d’un million de personnes meurent du paludisme chaque année, 250 millions sont infectées.

Fièvre jaune, chikungunya, dengue, encéphalites et filarioses lymphatiques sont autant d’autres maux qu’ils propagent. Les insectes transmetteurs de maladies graves sont désormais à nos portes. Déjà repéré au Tessin, le moustique-tigre préfigure les effets de la globalisation sur la mobilité de ces vampires.

Alors, qu’attendre pour livrer une guerre totale à ces ennemis publics, apparus au Jurassique il y a 170 millions d’années et aujourd’hui présents sur tous les continents excepté l’Antarctique? Les écosystèmes en pâtiraient-ils au point d’avoir de bonnes raisons d’y renoncer? En juillet 2010, la revue «Nature» a tenté d’y voir plus clair, sans trouver de consensus.

Certains entomologistes ne crient pas au crime devant ce projet radical et estiment que les séquelles créées par l’éradication des moustiques disparaîtraient rapidement, car leur niche serait comblée par d’autres organismes. La vie se poursuivrait, comme avant — ou même mieux. Mais attention, prévient l’entomologiste aquatique Richard Merritt, n’oubliez pas les services que les moustiques rendent aux écosystèmes.

De nombreuses espèces d’insectes, d’araignées, de salamandres, de lézards, de grenouilles et d’oiseaux perdraient une source alimentaire essentielle. Les moustiques manqueraient aussi sur la toundra: les caribous empruntant des chemins face au vent pour échapper à ces redoutables ennemis, leur migration s’en trouverait perturbée — avec des conséquences imprévisibles, s’inquiètent les biologistes.

Sans eux, des milliers d’espèces végétales perdraient un groupe de pollinisateurs, craignent certains, alors que d’autres, telle l’entomologiste médicale Janet McAllister, considèrent que cette pollinisation n’est pas cruciale pour les récoltes dont les hommes sont tributaires. «Les moustiques ne feraient pas grand-chose que d’autres espèces ne puissent faire à leur place», estime-t-elle.

Du côté de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on se réjouirait à la perspective d’une réaffectation des dépenses consacrées actuellement à la lutte contre les maladies transmises par les moustiques à d’autres problèmes de santé. L’éradication des moustiques ne semble pas impossible. De mai à octobre 2010, des mâles transgéniques incapables de se reproduire ont été relâchés sur les îles Caïmans afin de lutter contre l’épidémie de dengue.

Depuis cette intervention, le nombre de moustiques aurait baissé de 80% dans la région. Mais le test qui devait être mené en fin d’année en Malaisie, avec des moustiques porteurs d’une modification génétique réduisant sensiblement la durée de vie de leur progéniture, a été reporté: 22 organisations s’y sont opposées, craignant un impact néfaste sur l’environnement — et sur la santé humaine.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.