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La fable du chêne et du trampoline

En Suisse, les relations de voisinage sont souvent tendues et peuvent prendre des dimensions absurdes. Exemple, l’histoire vraie qui suit, dans laquelle beaucoup se reconnaîtront.

Il était une fois un chêne, deux fois centenaire, qui vivait heureux. Un splendide arbre au sein d’une haie capable de résister à la bise la plus noire.

Chaque printemps le voyait déployer son feuillage qu’il abandonnait l’automne venu. A grand coup de balais, les feuilles mortes se trouvaient rassemblées en un énorme tas qui faisaient la joie des enfants jusqu’à l’hiver.

Parce que se déployant sur les parcelles de deux propriétaires, le malheureux chêne a connu des mésaventures qui auraient pu lui être fatales.

Le détenteur du terrain A (que nous appellerons Monsieur A), au-dessus duquel se trouve le ramage de la moitié du chêne, a choisi d’installer un trampoline pour sa progéniture exactement sous celui-ci. Le propriétaire du terrain B, mais aussi de l’arbre qui y a son tronc et ses racines, a cru déceler là une recherche judicieuse d’ombrage.

Rien de cela! Le choix de cet emplacement servait une fin meurtrière. Prétextant un risque pour les chérubins susceptibles d’être décapités par une branche qui s’abattrait sans crier garde, Monsieur A enjoint Monsieur B de faire disparaître au plus vite la source de ce danger potentiel. Un prétexte pour supprimer son ennemi de longue date; cet arbre qui ose déposer sur sa parcelle ses feuilles indésirables, aussitôt évacuées bruyamment avec une souffleuse.

S’ensuivent mille et une péripéties judiciaires, le déplacement d’importants Messieurs, titrés, gradés, en uniforme ou costume sombre. Puis, le funeste bruit d’une tronçonneuse qui ampute les «dangereuses» branches de cette merveille naturelle bicentenaire. En l’absence fautive d’une disposition communale relative à la protection des arbres patrimoniaux, une loi concernant les haies traditionnelles est appliquées à la lettre; on assimile le majestueux chêne à de maudits thuyas. Quant à l’argument du danger pour les enfants, il aura alerté mais non convaincu les autorités impliquées.

Asymétrique, le chêne ne reconnaît plus son ombre et craint de ne pouvoir résister aux prochains gros vents.

Quant au trampoline, il a diverti durant quelques jour des enfants ravis mais rapidement blasés. Délaissé, il languit. La rouille fait son oeuvre. Demain, un nouveau jeu le remplacera. Il prendra alors la direction de la déchetterie.

Quelle morale Jean de la Fontaine aurait-il trouvé à cette fable du XXIe siècle? Peut-être se demanderait-il s’il ne convient pas de recycler celle du «Chêne et du roseau»: «La loi du plus fort n’est pas toujours la meilleure.»