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Gros et petits malins

Démocrates-chrétiens et radicaux semblent vouloir donner un grand coup de barre à droite, les uns en pataugeant dans l’eau bénite, les autres en réchauffant une mauvaise tambouille. Et les deux en espérant qu’à quelques mois des élections, l’énormité de la ficelle ne se voie pas.

On appelle cela des gros malins. De ces gens qui pensent avoir inventé dans un même élan la roue, la poudre, l’eau chaude et le fil à couper le beurre. Sans s’imaginer un seul instant que, justement, la ficelle est un peu grosse.

Voyez par exemple le centre et la droite dite modérée ou classique — par opposition à celle, guignolesque, de l’UDC. Ecoutez ces gens-là, PDC et radicaux, censés incarner la saine raison et la douce modération face à leurs adversaires des extrémités rouges et brunes.

Les uns, les PDC, penchent soudain pour la remise en évidence des valeurs chrétiennes, suggérées par le «C» final, jusqu’à même revendiquer à nouveau le rayonnement public du crucifix. Les autres, les radicaux, resserrent les boulons en matière d’immigration, jusqu’à flirter avec l’original UDC, au grand dam d’une aile humaniste et romande à peu près anecdotique. De gros malins, on vous dit, à quelques mois des élections fédérales et de sondages déjà bien mous du genou.

Au PDC pourtant, toutes ces dernières années, on penchait plutôt pour l’ablation définitive de ce «C» qui sentait la vieille sacristie et faisait fuir les électeurs non catholiques, c’est-à-dire de plus en plus de monde. Mais voilà, les têtes supposées pensantes du parti semblent vouloir prendre en compte «un virage conservateur» qui balaie en effet l’Europe. Même réflexion chez les radicaux: casser de l’étranger, dans le contexte actuel, ne saurait nuire, pense-t-on. De la grande politique comme on voit. Surtout que ce néo-conservatisme, n’en déplaise au PDC, n’a rien de spécialement religieux. Ce serait même un peu le contraire: de la xénophobie bien mécréante et laïque, sur fond d’islamophobie.

Heureusement les gros malins ne sont pas seuls à faire l’actualité. Il y a aussi les petits. Par exemple les gens du comité «La vérité sur les armes», prétendument composé d’«honnêtes citoyens, de femmes et d’hommes qui veulent protéger leur famille» et plus certainement soutenu à bout de bras, si ce n’est de fusils, par ProTell, le lobby des armes.

Malin en effet de placer dans le camp des doux, des gentils, des pacifistes gnangnans, bref de tous ceux qui veulent sortir les armes des maisons, de placer donc parmi ces vaporeux rêveurs, Hitler en personne. Avec cette citation peut-être tout à fait hors contexte mais tellement inattendue qu’elle fait mouche, pan! dans le cœur de la cible: «La plus stupide erreur que nous pourrions commettre serait d’autoriser les races soumises à posséder des armes. L’histoire démontre que tous les conquérants qui ont permis aux races soumises de porter les armes ont préparé de la sorte leur propre chute.» C’est bien joué, ça n’a rien à voir, mais allez donc répondre à ça sans vous emmêler la culasse.

Et puis tiens revoici Darbellay, président cruciphile du PDC, passé comme l’éclair du clan des gros dans celui des petits malins. Le grand Christophe en effet se met à critiquer la Vierge, ou quasiment, celle qui jusque là semblait intouchable et dont il vénérait à journée faite les saints mérites: Doris, priez pour nous.

Voici en effet que le thuriféraire valaisan mégotte sur l’encens et critique même une prise de position de l’immaculée Leuthard. Pas n’importe laquelle: «La suppression des aides au trafic des pendulaires». Là Darbellay n’est plus d’accord et le dit. Ceux qui prennent le train tôt en gare de Martigny savent bien pourquoi, eux qui manquent rarement d’apercevoir en bout de quai une filiforme et bien connue silhouette.

On pourrait en déduire facilement que le petit malin est celui qui avance une conviction sincère, d’une sincérité d’autant plus forte qu’elle sert ses intérêts personnels. Alors que le gros malin fait exactement pareil, sauf qu’il ne pense pas un mot des énormités qu’il profère, tout en pensant que cela ne va pas se voir. Alors que cela se voit, bien sûr, comme l’hypocrisie au milieu de la vérité.