La mainmise totale des partis sur l’élection au Conseil fédéral du 22 septembre transforme l’exercice en douce farce.
Bouffon de Première, Pascal Bernheim le faisait remarquer justement un de ces quatre matins, à propos de l’omniprésence des papables au Conseil fédéral dans les médias de toute obédience et format: «Qu’est-ce qu’on s’en fout, de toute façon, c’est pas nous qui les élisons.»
Dans cette démocratie de grands électeurs, en l’effet, l’essentiel est partout sauf au grand jour. Le patron du PS Christian Levrat jure comme un arracheur de dents, face à la caméra, que cette fois, promis, il n’y aura ni intrigues de couloirs ni combinaisons tordues; que chaque parlementaire, au matin du 22 septembre et dans le secret de son âme, choisira simplement la bonne personne. Parce que justement, ce n’est qu’une question de personnes, parce que, ô miracle, ce coup-ci tous les candidats et surtout toutes les candidates sont de bons, et surtout de bonnes candidates.
On peut se demander alors pourquoi cette étrange pratique des auditions organisées par les groupes parlementaires. Ces sortes de grands oraux dont il est difficile d’estimer la part réelle d’influence sur le vote final, mais qui en firent trébucher plus d’un, enfin, surtout plus d’une.
L’exercice est tellement biaisé que les partis choisissent ceux qu’ils auditionnent et ceux auquels ils ne font même pas l’honneur d’une oreille même inattentive.
C’est ainsi que l’UDC n’auditionne que la candidate écologiste, que le PS entend les deux candidats radicaux et la candidate écologiste, le PLR les deux candidates socialistes, le PBD les deux candidats radicaux et les deux candidates socialistes. Seul le PDC, qui n’aime rien tant que jouer les arbitres, façon Ponce Pilate, fait ce que la simple équité commanderait de faire: auditionner tous les candidats. Ou personne.
Derrière ces choix, on voit bien les critères qui prédominent: le calcul partisan, la méfiance, les à priori mesquins. Comme celui du conseiller national Roger Nordmann à l’encontre de la candidate radicale Karin Keller-Sutter: «J’ai toujours en travers de la gorge sa présence aux côtés de Christoph Blocher pour sa première conférence de presse sur sa politique de renvoi des demandeurs d’asile.»
Face à des arguments aussi misérables, pas sûr qu’un examen de passage brillamment réussi suffise à renverser la vapeur. Pas davantage que le dragage éhonté, un par un, des parlementaires, à l’image de la socialiste zurichoise Jacqueline Fehr, qui se la joue marchande de tapis, jusqu’à s’être installé un petit bureau à proximité de la fameuse salle des pas perdus.
Tout cela a un petit air grotesque, un parfum de sous-cabale, comme si c’était l’élection du maire de Champignac qu’on préparait dans une arrière salle de bistrot. Tout cela, c’est sûr, a nettement moins d’allure, de grandeur que n’en montrerait ce serpent de mer: l’élection du Conseil fédéral par le peuple.
Laquelle nécessiterait au moins une vraie campagne, qui obligerait les candidats à fréquenter autre chose que les salons du Palais fédéral et les plateaux de télévision. Qui les forcerait à s’aventurer sur le terrain,à se dévoiler, se salir un peu les mains, montrer ce qu’ils ont dans le ventre.
A l’argument voulant que les minorités seraient balayées dans un tel mode de scrutin, les populistes de l’UDC et d’ailleurs, favorables à une onction par le suffrage universel, auraient beau jeu de rétorquer en citant le dernier classement de la Sonntagszeitung sur l’influence et le poids réel de chaque parlementaire. Les romands les mieux classés sont Christophe Darbellay avec une 3e place, puis Christian Levrat au 18e rang et Alain Berset au 20e. Autant dire rien, des miettes. Les faiseurs de rois dans ce système de grands électeurs se trouvent bien de l’autre côté de la barrière de röstis.
Pendant ce temps, la campagne, la fausse, «juste pour beurre» et remplir des pages, se poursuit, palpitante. Où l’on apprend, entre autres faits significatifs et bouleversants, que Simonetta Sommaruga a peur des souris. Peut-être un handicap fatal, vu ce dont la montagne du 22 septembre risque d’accoucher.