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Quelques mots à propos des abris antiatomiques

Lâchage du haras national, suppression de l’obligation de construire des abris antiatomiques, hausse infime des forfaits fiscaux: au secours, la Suisse est en train de devenir un pays normal.

C’est du lourd, du très lourd qui tombe: l’abri antiatomique chez soi, spécialité unique au monde, que les Nord-Coréens au moins doivent encore nous envier, certains soirs de solitude. Le parlement pourtant ferait bien de réfléchir à deux fois avant de ratifier cette proposition du Conseil fédéral qui veut restreindre l’obligation de construire des abris aux seuls immeubles d’habitation d’une certaine taille, et souhaite ainsi en dispenser les futurs Sam Suffit et autres impétueux bâtisseurs privés.

Y réfléchir à deux fois parce que moins d’abris antiatomiques, c’est aussi moins de carnotzets improvisés, à l’atmosphère délicieusement fin du monde, moins de souks secrets et discrets où planquer ses plus inavouables fourbis, dissimuler son plus épouvantable chenit.

Bien sûr, rétorquent les esprits comptables et les pense-menu, avec 300’000 abris pour particuliers et 5’100 bunkers publics, la Suisse arrive à un joli total de 8,6 millions de places protégées, à savoir un taux de couverture de plus de 114 pour cent.

Et les clandestins alors, et les touristes, les chers touristes, n’auraient-ils pas, autant que des êtres humains normaux, c’est-à-dire suisses, le droit d’échapper à l’apocalypse nucléaire? Et nos braves compagnons à poils, pattes, becs, écailles et plumes? Médor, Titi et Gros Minet irradiés sans pitié devant des portes closes? Y a-t-on songé ? Sans parler des miss chinoises en goguette. Imaginez le drame: refuser l’accès du bunker à de sympathiques et peu vêtues demoiselles sous prétexte que ce serait complet. Y a-t-il seulement pensé, le sinophile maire de Delémont, Pierre Kohler, qui fut le premier à promouvoir l’abolition de l’abri privé?

Et quelle pauvre raison, quel misérable argument le Conseil fédéral avance-t-il pour sacrifier ce monument national, cette conception granitique, certes, mais ultra démocratique de la défense et de la survie? Eh bien tout bêtement, tout chichement, les «allégements considérables qui devraient en découler sur le plan financier, tant pour les pouvoirs publics (Confédération, cantons, communes) que pour les particuliers». Rapiats, va!

Il est vrai que les sept sages, lorsqu’il s’agit de faire des économies semblent perdre toute dignité, tout honneur — sans parler de courage ni d’imagination — et ne plus suivre qu’un seul principe: s’attaquer en priorité aux plus faibles. Les mesures d’économie proposées la semaine dernière par Hans–Rudolf Merz ne s’en prenaient-elles pas entre autres, mais surtout, au haras national d’Avenches?

S’en prendre à des chevaux de retour, qui ne servent plus qu’à animer des marchés-concours, et à des bunkers minuscules privés d’épouvantail soviétique, cela n’a guère de classe. D’ailleurs quand par miracle les mêmes se mettent en tête de faire aussi cracher au bassinet les gros de chez gros, les puissants de chez très forts, là soudain, on ne parle plus de suppression, mais on se contente de réformettes très modérées. Les forfaits fiscaux, cette autre spécialité locale? Pas question de les supprimer évidement. Mais quand même, le Conseil fédéral propose de les augmenter un peu, un tout petit peu, histoire de faire croire à la fable du principe d’équité devant l’impôt, mais en prenant bien garde de ne pas créer trop de panique chez les poissons ventrus qui pourraient avoir la mauvaise idée d’aller se faire prendre ailleurs.

Que penser, en bref, d’un pays qui ne croit plus à sa cavalerie, ni même à l’existence d’ennemis assez sérieux pour déclencher le feu nucléaire? D’un pays qui en revanche n’ose plus franchement et totalement exonérer les plus que riches? Oui, c’est affreux à écrire, mais il semble bien que la Suisse soit en train de devenir un pays tristement normal.