LATITUDES

Le pull marin, star de l’été

C’est le vêtement en vogue cette saison, chic et intemporel. Voici l’étonnante histoire du tricot à rayures.

Les marchands d’ail bretons qui, au XVIIIe siècle, se rendaient en Angleterre, portaient un tricot en mailles serrées qui s’enfilait par la tête. Idéal pour lutter contre le froid et le vent sur leurs embarcations.

A l’heure d’introduire un uniforme pour ses matelots, la Marine française pensera à ces marchands d’ail. «A mailles unies, le tricot se compose de fils teints à l’indigo pur, formant des raies alternativement blanches et bleues. Pour le corps de la chemise, les raies blanches d’une largeur de 20 mm sont au nombre de 21, les raies bleues larges de 10 mm sont au nombre de 20 à 21». C’est l’acte de naissance de l’uniforme du personnel d’équipage de la Marine paru dans le «Bulletin officiel» du 27 mars 1858. Le mot chandail vient d’ailleurs de cette origine, marchand d’ail.

La marinière rayée est un vêtement non seulement confortable pour la navigation mais elle comporte une dimension sécuritaire et symbolique souvent ignorée. Sécuritaire, car les rayures, selon une légende colportée dans le monde marin, permettraient de mieux repérer un homme tombé à la mer. Symbolique, car le nombre de raies des chandails n’aurait pas été choisi au hasard. Ce serait là un clin d’oeil à Napoléon. Plus précisément au nombre de ses victoires!

Par ailleurs, plus qu’une analogie avec les vagues, Michel Pastoureau, auteur de «L’étoffe du diable: l’histoire des rayures et des tissus rayés» rappelle que «la rayure situe celui qui la porte au plus bas de la hiérarchie». Les lépreux et les bagnards l’illustrent bien. La raie, c’est le barreau qui enferme. Ne la retrouve-t-on pas dans les camps de concentration nazis?

Les premiers civils qui viendront entamer cette connotation négative des rayures sont les enfants. La reine Victoria aurait initié le mouvement en habillant ses enfants en marins. Ah! Qu’ils sont beaux ces petits mousses! Les plaisanciers viendront les imiter. Puis, dans les années 1910, Coco Chanel s’inspire de la panoplie du marin et fait entrer la marinière dans la garde-robe féminine. Elle détourne ainsi un vêtement masculin pour apporter plus d’aisance aux tenues alors corsetées des femmes. Voici le pull marin devenu émancipateur!

Adopté initialement par une classe aisée et par des artistes (que l’on pense à Picasso et Dali photographiés à maintes reprises en pull rayé), le style marin acquiert ses lettres de noblesse grâce à Jean Seberg, Delon, Bardot, Mastroianni, Jackie Kennedy, Onassis, Grace Kelly et le Prince Rainier. Avec de tels ambassadeurs, la rayure marine se dote d’un côté chic et intemporel et perd son caractère diabolique.

Pour ses collections 1962 et 1966, Yves Saint Laurent fait défiler des marins sur ses podiums. A la marinière, il ajoute des paillettes. Sonia Rykiel aura cette même source d’inspiration en 2002, alors qu’en 2010 on parle d’«incontournable marinière» dans cette maison parisienne. Mais c’est Jean-Paul Gaultier qui, en le portant lui-même, a fait du pull marin sa marque de fabrique. «Ce pull marin m’intéresse pour son côté graphique. En prêt-à-porter et en couture, indifféremment. J’ai travaillé ce pull dans tous les matériaux: en autruche, en dentelle, avec des cristaux Swarovski, des paillettes… Je l’ai fait de toutes les manières possibles et impossibles”.

Balmain, Dolce & Gabbana, Marc Jacobs, Galliano et tant d’autres stylistes ont un jour ou l’autre intégré un pull marin dans leur collection. L’image du marin fantasmé (Corto Maltese n’est jamais très loin) séduit.

Tendance phare de cet été, le pull marin est porté par tous les âges, par les deux sexes et par toutes les bourses. Alors, mille sabords, prenez la vague si ce n’est déjà fait.