Les milieux économiques flattent volontiers le sens des responsabilités de l’homo helveticus. Mais comment va-t-il se prononcer quand on lui demandera, le 7 mars, s’il accepte une baisse de ses rentes vieillesse? Le projet est soutenu par le Conseil fédéral. Pas sûr que cela suffise…
Dans le doute, le peuple suisse va-t-il s’abstenir? La votation du 7 mars prochain proposant une modification de la loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) lui offre en tout cas une nouvelle occasion de démontrer son goût exceptionnel, unique au monde, pour le masochisme et l’automutilation. Seul peuple en effet à valider régulièrement dans l’urne des hausses d’impôts ou des baisses de prestations. Seul peuple il est vrai, aussi, à être consulté sur ces matières-là.
Mais cette fois, il faudrait être vraiment un peu fou, tant la ficelle semble énorme: accepter une nouvelle baisse du taux de conversion des rentes du 2ème pilier, après celle en cours depuis 2005. Autrement dit, croire les assureurs et le Conseil fédéral sur parole, sans qu’ils apportent un début de commencement de preuve, lorsqu’ils soutiennent qu’un rabotage sévère est nécessaire à l’équilibre du fameux pilier.
Ces enragés de la baisse — auxquels il faut ajouter les partis de droite et economiesuisse, dans une splendide unanimité aussi retrouvée que suspecte, une sainte Alliance ressuscitée du Grand Capital contre le reste du monde — ont pour principal argument l’allongement de la durée de vie. Un chiffon rouge déjà brandi en 2003 pour faire avaler une première baisse progressive de 7,2 % à 6,8 étalée de 2005 à 2014. Jamais rassasiés, ces Nosferatu de la LPP réclament aujourd’hui une ponction jusqu’à 6,4%.
Si même la gauche admet qu’il fallait en effet un réajustement face à un allongement constant de la durée de vie, brandir à nouveau le coupe-chou ne repose désormais sur une aucune base suffisamment claire et démontrée. Chacun en effet — entreprises, assureurs, administrations — arrive à des résultats différents lorsqu’il s’agit d’établir des tables de mortalité, autrement dit de calculer la durée moyenne de vie d’un retraité. Avec des écarts pouvant aller jusqu’à deux années suivant le mode de calcul adopté.
Par le plus curieux des hasards, c’est la tabelle des assureurs qui présente les durées de vie les plus longues. Troublante aussi, la manière de faire du Conseil fédéral qui prend pour exemple dans son argumentaire la caisse de pension de la ville de Zürich. Mais en oubliant de dire que la population de cette ville bénéficie d’une durée de vie plus élevée que la moyenne.
Tout cela sent donc un peu le méchant coup fourré puisque la seule certitude établie est une baisse mécanique et forte des rentes futures par rapport à celles que touchent les retraités partis avant 2005. Des baisses pouvant atteindre jusqu’à 11%.
On trouve le même flou artistique à propos du deuxième critère servant à établir le fameux taux de conversion: le taux de rendement du capital. Les partisans du grand hold-up sur les rentes mettent en avant l’instabilité actuelle des marchés financiers. À quoi on peut opposer que les pertes de 2008 ont été en bonne partie résorbées et que la gestion d’un capital sur 40 années laisse largement le temps et les occasions de combler d’éventuelles mauvaises surprises. Et il faudrait malgré tout, comme cela, sur de simples injonctions venues d’en haut, se laisser tranquillement faire les poches, juste au cas où?
Mais voilà, nous sommes en Suisse, où chaque citoyen se targue de rimer avec souverain. Et se gargarise de son statut de votant perpétuel, se montre fier d’être un animal à sang froid, pétri de responsabilité, de bon sens, de sens du bien commun et de saine raison.
Chaque fois, les déplumeurs patentés — de gauche quand il s’agit de promouvoir de nouvelles taxes, de droite pour trancher dans les prestations — jouent jusqu’au dégout de cette corde-là, en appellent au grand sacrifice responsable, faute de véritables arguments, faute de preuves matérielles.
Cette fois pourtant, l’irresponsabilité semble plutôt dans la tentation d’offrir soi-même le couteau pour se faire saigner à la gorge, sans savoir absolument si cette saignée-là sera de la moindre utilité. Autant faire voter des robots, des kamikazes ou des pervers.