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Avocats animaliers: aux urnes, citoyens

Malgré des enjeux proches du néant, la votation sur l’avocat des animaux passionne les foules, détraque les élus, et envahit les médias. Amusant ou inquiétant? Les deux probablement.

«Le saligaud qui a écrasé Lionel mon supermatou mériterait de passer sur la sellette.» La sellette électrique on suppose. Que ce soit dans le courrier de lecteurs — ici celui de «24 heures» — ou à travers éditoriaux, reportages, interviews, pages opinions, analyses, débats et émissions spéciales à la radio et à la télévision, ça cartonne sévère. L’insignifiante et anecdotique initiative visant à contraindre les cantons à se doter, sur le modèle zurichois, d’un avocat pour les animaux, se taille une étonnante part du lion médiatique.

Un engouement à peu près inversement proportionnel à des enjeux quasi nuls: du genre la possibilité de poursuivre ou non un pêcheur de brochet qui se serait fait un petit remake du Vieil homme et la mer. Hemingway réveille-toi, ils sont devenus mous…

Oui, cette votation compte si peu que, pour la première fois, le citoyen suisse Alain Delon a décidé de se mêler de politique dans son accueillante patrie d’adoption. D’aller voter et de faire voter. Avec des arguments d’une impérissable acuité: «Si on est capable de torturer un chien, on est capable de torturer un être humain.»

D’un point de vue médiatique, reconnaissons-le, ce couple inattendu, animal-justice, ouvre des perspectives de sommaires alléchants comme jamais. Des faits divers particulièrement sordides à montrer en exemple: tel paysan coléreux boutant le feu à son chien après l’avoir aspergé d’essence. Des rappels historiques tout à fait éclairants, comme les grands procès du Moyen Age: tel cochon pendu haut et cours pour ravoir par mégarde boulotté une hostie ou dévoré un enfant. Des peopeleries gratinées à souhait, avec par exemple la reconstitution de couples décomposés. Tel le face à face à distance entre Lolita Morena — marraine de l’initiative — et son ex compagnon, l’ex futur conseiller fédéral Christian Lüscher, tout contre, parlant même d’«hérésie absolue».

Il y va d’ailleurs fort, Lüscher: «On surprotège les animaux, on a perdu le sens des relations, on a déjà les animaux les mieux protégés du monde… La loi sur la protection des animaux explique quelle doit être l’alimentation en oxygène d’un homard et la taille de son aquarium». Le Genevois en rajoute même une couche dans une lettre au quotidien «Le Temps» où il prêche très ironiquement en faveur d’un avocat pour les parlementaires, afin que ces messieurs-dames sous la coupole soient «aussi bien traités que les pigeons domestiques ou les décapodes marcheurs». Sauf qu’à l’époque pas si lointaine où l’initiative était passée devant le Conseil national, l’aujourd’hui si virulent député Lüscher s’était piteusement abstenu. Sans doute dans un geste de galanterie à l’égard de Lolita.

Preuve qu’en ces matières, ces histoires d’animaux, forcément la déraison, le sentiment, l’émotion, l’irréalité priment sur tout. C’est ce qui rend peut-être cette votation futile tellement importante: elle parle d’un sujet qui ne concerne pas la réalité froide, comptable. Ce n’est pas un sujet politique au sens fort, sérieux et noble du terme. Les médias ont raison d’y accorder plus de place qu’à la rébarbative question de l’abaissement du taux de conversion qui influera pourtant directement sur le montant de nos retraites. On est loin du citoyen égoïste ne votant qu’avec son portemonnaie. On est proche du citoyen croyant voter avec son cœur et sa noblesse d’âme, au secours des frères inférieurs.

Pas sûr pourtant qu’il faille se réjouir de cette flambée de discussions autour de notre façon de traiter les animaux. Croire en l’animal peut dénoter assez sûrement qu’on ne croit plus en grand-chose d’autre. Tel un Alain Delon repu de gloire, d’honneurs, de richesses et de plaisirs et finissant par décréter que les animaux et «les chiens en particulier sont comme les hommes, les défauts en moins».