Les xénogreffes ouvrent des perspectives formidables à la science. Elles pourront très bientôt sauver des vies humaines, mais elles posent aussi des questions auxquelles chacun doit réfléchir.
L’homme au cœur de cochon, c’est pour très bientôt. «D’ici dix ans, cœur et reins de porc pourraient sauver des vies humaines», estime Philippe Morel, directeur du département de chirurgie de l’Hôpital universitaire de Genève. Corinne Savill, de l’institut Imutran de Cambridge (GB), considère pour sa part que ces opérations devraient être possible dans cinq ans déjà.
Cinq ou dix ans, peu importe. Les greffes de tissus ou de cellules d’origine animale ouvrent des perspectives vertigineuses au genre humain.
Avant d’envisager l’avenir, un regard vers le passé nous apprend que ces xénogreffes ont une histoire très ancienne. La mythologie nous a donné le Faune et le Centaure, beaux exemples de mélange. Et les anges? Ne sont-ils pas des êtres xénogreffés, mi-hommes, mi-oiseaux?
De tout temps, l’homme a rêvé d’avoir une âme humaine doublée d’une puissance bestiale. Les mythes regorgent d’exemples montrant des humains s’attribuant les vertus du monde animal.
Il a pourtant fallu attendre le début du XXe siècle pour observer les premières tentatives de xénotransplantation. En 1902, Mathieu Jaboulay, chirurgien à Lyon, essaie d’implanter des reins de porc à l’une de ses patientes. Quelques années plus tard, on greffe des thyroïdes de chimpanzés et des fragments de testicules de babouins sur des malades qui survivent pendant des années.
Véritable révolution en 1967, Chris Barnard réalise la première transplantation cardiaque d’humain à humain. Aujourd’hui, cet acte chirurgical est presque devenu une routine et suscite un problème d’un nouveau type: les patients en attente de greffe sont bien plus nombreux que les donneurs. Il y a pénurie d’organes humains.
En 1998, plus de 400 patients ont été transplantés en Suisse, mais 28 personnes inscrites en liste d’attente sont décédées. De l’avis des spécialistes, la solution du problème va donc vraisemblablement prendre la forme d’un cochon.
Quelle belle revanche pour cet animal appelé au secours de l’homme après avoir alimenté sa panse et ses pires injures pendant des siècles! Il se trouve en effet que les organes de cochon sont les plus proches des nôtres par leur taille et leur structure. Aux expressions «il est gras comme un porc», «il mange comme un goret» et «elle sue comme une truie», il conviendra de substituer «je vis grâce à un cœur de cochon».
Le caractère remarquablement prolifique de cet animal présente un autre avantage: il pourra constituer sans peine une réserve d’organes pour toute l’humanité.
Cette future «porcification» de l’homme devra cependant être précédée d’une «humanisation» des porcs afin de restreindre les phénomènes de rejet immunitaires. C’est presque chose faite depuis 1992 avec les premiers élevages de porcs génétiquement modifiés.
En Suisse, la population ne semble pas trop réfractaire à de telles perspectives. Un récent sondage montre que 40% des citoyens seraient prêts à se faire greffer un organe d’animal. La sphère politique a pour sa part donné le feu vert aux xénotransplantations dans un arrêté fédéral promulgué l’an passé.
Reste encore à franchir quelques obstacles de taille, notamment scientifiques, religieux et éthiques.
Scientifiques car la barrière immunitaire n’a pas encore livré tous ses secrets, et des virologues craignent l’apparition de nouveaux virus capables de déclencher des épidémies semblables au sida ou à la maladie de la vache folle.
Religieux car l’interdiction de consommer de la viande de porc chez les juifs et les musulmans s’étend également à l’incorporation de cet animal. Les scientifiques de Riad, pour contourner cet obstacle, s’orientent plutôt vers le mouton.
Reste la question ethique. On s’achemine vers une abolition des frontières d’espèces en réduisant toutes les formes de vie à des stocks de gènes modifiables à merci en laboratoire. Qui posera les limites à cette instrumentalisation du vivant? Qui définira les valeurs fondamentales à respecter?
On le devine, l’enjeu économique est énorme. Ainsi, la firme Novartis – pressentie pour commercialiser des organes de porcs compatibles avec l’homme – se réjouissait il y a peu des résultats d’une étude montrant que les patients traités avec des tissus de porc n’avaient aucun risque d’être contaminés par le rétrovirus endogène porcin (PERV). Perspective économique: 6 milliards de dollars d’ici à l’an 2020.
L’intérêt commercial justifiera-t-il qu’on bricole génétiquement le vivant en ignorant à peu près tout des conséquences? «Nous sommes en train de réaliser une seconde Genèse en laboratoire», écrit Jeremy Rifkin dans «Le siècle bio-tech. Le commerce des gènes dans le meilleur des mondes» (ed. La Découverte).
Une nouvelle histoire a bel et bien déjà commencé. Il serait préférable que les apprentis-sorciers et les directeurs de marketing n’en soient pas les seuls auteurs.
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Geneviève Grimm-Gobat écrit régulièrement pour Largeur.com.