Sur le Web, la lecture est devenue un acte de consommation assez proche du zapping. Qui profitera de la révolution de l’hypertexte?
Sans même y penser, vous avez cliqué sur un lien pour accéder à ce texte. La navigation internautique est devenue un acte spontané qui débouche, mine de rien, sur une nouvelle forme de lecture en trois dimensions. C’est une révolution dont on n’a pas encore mesuré tous le effets.
Grâce au Web, un rapport inédit s’établit entre le texte et celui qui y pose les yeux. Mais peut-on dire de l’internaute qu’il lit? L’activité du lecteur varie selon la nature du texte lu: on épluche un contrat, on consulte un dictionnaire, on dévore un roman, on parcourt un magazine, on feuillette un journal et on navigue sur un hypermédia.
Dans la civilisation de l’écrit, le feuilletage était considéré comme secondaire par rapport à la lecture. En matière d’hypermédia, en revanche, c’est l’opération de lecture qui est devenue marginale par rapport au surf. On assiste ainsi à un nouveau mode de consommation des signes situé à mi-chermin entre le livre et le spectacle.
Le navigateur a un statut mouvant: tantôt spectateur, tantôt lecteur, tantôt simple utilisateur, il se livre au furetage, à la chasse, au déballage de poupées russes ou à l’effeuillage de couches concentriques. Est-il moins dépendant du texte?
Dans «Du papyrus à l’hypertexte», paru aux éditions de La Découverte, le professeur Christian Vandendorpe, de l’Université d’Ottawa, se livre à une réflexion passionnante sur les mutations du texte. Avertissement à ses futurs lecteurs: la lecture de son ouvrage est souvent très pénible! Résumons.
Le livre s’ouvre sur une rétrospective historique qui explique comment le texte, d’abord associé à des pierres ou à des ardoises, à des tablettes d’argile, à des écorces d’arbre ou de roseaux, à des peaux de bête, puis au papier, gagne aujourd’hui le support immatériel de l’électronique.
D’un média à l’autre, la dynamique de lecture varie fortement. Si la lecture du livre est placée sous le signe de la durée et d’une certaine continuité, celle de l’hypertexte est caractérisée par un sentiment d’urgence, de discontinuité et de choix à effectuer constamment.
Chaque lien hypertextuel remet en question l’éphémère contrat passé avec le lecteur. Poursuivra-t-il sa quête en cliquant sur le lien ou abandonnera-t-il son parcours?
Les créateurs de pages Web tentent de séduire l’usager par la rhétorique de l’espace qu’est la mise en page et l’environnement iconographique. Il en va de l’hypertexte comme des produits de consommation: l’emballage modifie le rapport que le lecteur pourra établir avec le texte.
De plus en plus, l’écran apparaîtra comme un espace «naturel» pour effectuer des opérations de lecture et d’écriture. Mais pas plus que la télévision n’a fait disparaître la radio, ce nouveau type d’écrit ne supplantera les livres et les journaux.
L’ordinateur est un média qui s’ajoute à la panoplie des moyens de communication déjà existants. Selon Vandendorpe, «il déplacera certainement la configuration actuelle des supports de l’écrit en condamnant certains types d’ouvrages, là où les finalités de l’écrit s’harmonisent le mieux avec la spécificité de l’hypertexte: informations, concordances, encyclopédies, catalogues et sommes de toute sorte.»
Nous allons vers une hybridation et une diversification des supports, des textes et des types de lecture. La presse écrite s’accommode plus ou moins bien de cette mutation. L’Hebdo, qui vient d’inaugurer sa nouvelle formule, semble avoir fait son choix: il affiche son «esprit de résistance aux modes», estime être conçu «pour des lecteurs, pas pour des allumés frénétiques du zapping» et «veut être lu, pas seulement regardé». L’Hebdo souhaite «provoquer la réflexion, pas l’engourdisssement», écrivait la rédactrice en chef Ariane Dayer dans son éditorial du 20 janvier.
Les Inrockuptibles, hebdomadaire culturel français, a fait un choix radicalement différent. Pour fêter ses cinq ans de parution, il s’apprête à «mettre sur orbite un nouveau support médiatique, en réaffirmant son enthousiasme à l’égard des perspectives offertes par le développement des nouvelles technologies ». La prochaine version des Inrockuptibles verra donc le jour sur le Net dès le mois de mars.
La plupart des journaux imprimés développent leur présence sur le réseau. Quels intérêts ce développement servira-t-il? On sait ce que la Réforme doit à l’imprimerie, qui permit la diffusion rapide des thèses de Luther. Qui profitera du numérique?