KAPITAL

CSEM, l’incubateur de start-up suisses

Les entreprises du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) ont généré un chiffre d’affaires de 120 millions de francs l’an dernier. Portrait de ce formidable acteur de l’innovation, à l’heure du départ de son directeur Thomas Hinderling.

«Avec ses compétences scientifiques et sa capacité d’innovation, le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) est l’un des meilleurs porte-drapeau de Neuchâtel et de la Suisse à l’étranger», s’enthousiasme Alain Barbal, chef de la promotion économique du canton de Neuchâtel. «Le succès du CSEM s’explique par un positionnement dans le créneau très porteur des micro et des nanotechnologies, une bonne vision stratégique, ainsi que l’insertion dans un excellent réseau de compétences», ajoute Jordi Montserrat, responsable romand du programme Venturelab, qui sensibilise les étudiants à la création de start-up.

Depuis 1997, Thomas Hinderling tenait les commandes de cette locomotive économique. En novembre 2009, il quittera ses fonctions après avoir transformé, en treize ans, cette institution neuchâteloise en une puissante machine à gagner, et à créer des emplois.

Xemics, CSM Instruments, Innobridge ou encore Heliotis ne sont que quelques-unes des 30 start-up créées par le CSEM ces dernières années. «Il est essentiel pour nous de pouvoir commercialiser les technologies développées par nos chercheurs, explique Thomas Hinderling. Sinon, elles se perdraient rapidement dans la nature.»

Plus de 500 postes qualifiés et un chiffre d’affaires de plus de 120 millions de francs pour l’année 2008 ont été générés par les entreprises du CSEM. A ce jour, une seule start-up a fait faillite. Un succès que Thomas Hinderling attribue à un incubateur efficace, qui mène les projets à maturité avant de les lancer. «Nous nous impliquons personnellement dans le développement de chaque entreprise. Cela limite un maximum les risques de casse.»

Une structure que Virginie Carniel, directrice opérationnelle de la start-up Nolaris (lire ci-dessous) qualifie d’idéale: «Avec le CSEM, nous bénéficions d’un soutien en termes de ressources humaines, financières, logistiques et informatiques. Venir de cette institution procure une crédibilité importante auprès des investisseurs.»

Avec Thomas Hinderling, les activités du CSEM se sont étendues au-delà des frontières neuchâteloises. Des centres de recherche ont été créés à Zurich, près de Lucerne, à Bâle et à Landquart. Le CSEM s’implante au Brésil, dans les Emirats arabes unis et entame des collaborations avec plusieurs universités européennes.

«Cette croissance internationale était nécessaire, considère le directeur du CSEM. Il est impératif d’atteindre une certaine masse critique si on veut rester dans le coup: la compétition ainsi que la complexité des technologies n’ont fait que s’accroître ces dernières années.» La collaboration la plus marquante reste celle entreprise avec l’EPFL en 2006, devenue alors actionnaire principal du CSEM. «Cette étape a été importante pour nous. Il nous fallait ce partenaire complémentaire. Notre mandat consiste à faire de la recherche appliquée, puis à industrialiser les technologies. Il est donc vital que nous restions en contact étroit avec la recherche universitaire.»

Financièrement, l’institution a particulièrement bien tenu face à la crise. Le chiffre d’affaires devrait s’élever à 72 millions de francs en 2009, contre 66 millions en 2008 et 53 en 2006. «Nous avons de la chance, relève Thomas Hinderling. Nous sommes dans une excellente santé financière, notre savoir-faire est reconnu et notre équipe est très professionnelle. Notre portefeuille de commandes est bien doté.»

Mieux encore, les mandats privés de l’institution ont augmenté d’environ 10%, alors que les subventions publiques ne représentent plus que 35% du chiffre d’affaires total. «Cette évolution est très positive. Il faut que l’essentiel des fonds provienne de l’industrie! La Confédération garantit une partie du financement, et assure ainsi la pérennité de notre mission, mais sa contribution ne doit pas dépasser les 40% selon moi.»

Surprenant pour certains, attendu par d’autres, le départ de Thomas Hinderling a été annoncé le 9 octobre. «Tout le monde a salué son travail ainsi que son investissement personnel», affirme Jérôme Grosse, porte-parole de l’EPFL.

Sur recommandation de Thomas Hinderling, le conseil d’administration du CSEM a décidé de nommer Mario El-Khoury au poste de directeur. Cet ingénieur en électricité de 46 ans avait rejoint le CSEM en 1994 en tant que responsable du contrôle industriel.

Nommé membre de la direction en 2003, il a travaillé étroitement avec son prédécesseur durant plusieurs années. «Ma nomination n’a été qu’une demi-surprise, confie Mario El-Khoury. Lorsque Thomas Hinderling a exprimé il y a plus d’une année son souhait de quitter l’entreprise, les discussions ont commencé sur sa succession et mon nom circulait parmi les candidats potentiels.» Agé de 63 ans, Thomas Hinderling explique sa démission par des raisons personnelles. «Ces années passées à la tête du CSEM ont été passionnantes, mais cela requiert un engagement à 140%. Je souhaite maintenant travailler à 100% seulement! Après presque treize ans, il était également temps de passer la main à quelqu’un de plus jeune. Et quand on trouve le bon successeur, il faut saisir l’opportunité et pas la laisser passer!»

Malgré son départ, Thomas Hinderling continuera à s’impliquer dans des projets du CSEM. Quant à son successeur, il ne semble pas vouloir révolutionner l’institution. «Les changements s’inscriront dans la continuité, assure Mario El-Khoury. Il s’agit principalement de renforcer la coordination entre nos centres régionaux, pour l’héritage laissé par Thomas Hinderling. Notre stratégie continuera de s’adapter évidemment aux besoins du marché et de la société.» Rien ne sert, effectivement, de changer une formule qui marche.

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Des îles solaires flottantes

«Je me demande pourquoi personne n’y avait pensé avant», dit Thomas Hinderling à propos des îles solaires. Cette invention phare du CSEM est développée depuis 2007 par la start-up Nolaris, qui emploie 13 personnes à Neuchâtel. Concrètement, ces îles solaires sont constituées d’une vaste membrane plastique circulaire, tendue sur un anneau en acier et couverte de miroirs réfléchissants. Le rayonnement solaire est focalisé sur des tubes qui circulent au-dessus de ces miroirs, produisant de la vapeur, récupérée pour actionner des turbines.

«Ce système permet la production d’énergie écologique, en grande quantité et à des tarifs compétitifs», explique Virginie Carniel, directrice opérationnelle de Nolaris. Le prix de l’électricité produite par ces îles sera concurrentiel avec celui des énergies fossiles. Il en coûtera environ 0,10 à 0,20 dollar par kilowattheure, contre 0,40 dollar pour les systèmes paraboliques traditionnels.

Un premier prototype d’île solaire est actuellement en construction sur terre ferme, à Ras al-Khaimah dans les Emirats arabes unis. D’un diamètre de 80 mètres et d’un coût de 7 millions de dollars, il entrera en service au printemps 2010. En mer, les îles solaires devraient pouvoir atteindre des centaines de mètres de diamètre et produire de l’électricité ou de la chaleur. «Le potentiel est énorme, souligne Viginie Carniel. De nombreuses entreprises et pays ont montré leur intérêt.»

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Des solutions informatiques avant-gardistes

Uditis est une entreprise en pleine croissance. Cette spin-off, qui résulte de l’outsourcing du service informatique du CSEM, a été fondée en 2000 à Neuchâtel. Dès le départ, elle s’est spécialisée dans les prestations de haut niveau en matière de développement de solutions dans les domaines des réseaux, de la sécurité, de la gestion des données ou dans le développement de logiciels sur mesure. Uditis compte parmi ses clients de grandes PME romandes, tous secteurs confondus, ainsi que les administrations publiques.

«Le CSEM nous a beaucoup aidés dans la création d’Uditis, explique Stéphane Droxler, directeur financier. D’abord par sa confiance et surtout parce qu’il était notre premier client. Il a constitué une base à partir de laquelle nous avons pu nous développer.» Au départ, la spin-off employait 15 collaborateurs. Elle en compte actuellement 30 et se trouve en passe d’augmenter encore ses effectifs grâce à une acquisition imminente.

Alors que son chiffre d’affaires s’élevait à 8 millions de francs en 2008, Uditis a ouvert une antenne dans le Jura, puis une autre à Genève, afin de se rapprocher de ses clients. «Cette volonté de croissance provient du fait que nous souhaitons ramener la part du CSEM à environ 20% de notre chiffre d’affaires, précise Stéphane Droxler. A l’origine, il constituait notre unique client. Puis, grâce au développement de nos affaires, son importance s’est réduite à 33%.»

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Purifier l’eau sans chimie

Adamant figure parmi les très rares spécialistes mondiaux dans le domaine de la technologie du diamant de synthèse appliquée au traitement de l’eau. Que ce soit dans les piscines, les spas, l’agroalimentaire, pour l’eau de pluie ou celle destinée à l’industrie, cette start-up du CSEM apporte des solutions pour traiter et désinfecter sans aucun ajout de produit chimique.

«Notre entreprise est le résultat de plus de dix ans de recherche sur le diamant au CSEM, explique Christophe Provent, directeur général adjoint d’Adamant. Lorsque cette technologie a atteint un certain degré de maturité en 2005, il était logique qu’elle devienne indépendante.»

Actuellement basée à La Chaux-de-Fonds, Adamant a vu son nombre d’employés passer de 6 à 14. En 2007, le groupe français MG International, leader mondial de la sécurité des piscines publiques et privées, est devenu l’actionnaire principal de l’entreprise. «MG International nous apporte un réseau commercial international prometteur, se réjouit Christophe Provent. Nous avons identifié de nombreux marchés pour nos produits et connaissons une très forte croissance.»

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Les missions du CSEM

Le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) est un centre privé de recherche et de développement. Spécialisé en micro et nanotechnologie, il a été fondé en 1984 à Neuchâtel. Sa mission principale consiste à transférer des technologies entre les hautes écoles et l’industrie. Actuellement, il emploie plus de 400 personnes.

Il propose des services de R&D aux entreprises pour certaines innovations pointues, trop complexes à développer en interne. Surtout, il fait le lien entre les technologies issues de la recherche et l’industrie. Lorsque aucune entreprise n’est intéressée par une innovation, et que les dirigeants du CSEM estiment qu’elle a du potentiel, ils créent une start-up pour la commercialiser.

En 2009, son chiffre d’affaires est estimé à 72 millions de francs. Parmi ses actionnaires, on trouve l’EPFL (20%), Swatch (20%), le canton et la Ville de Neuchâtel (18%), ainsi que Sulzer, Siemens, Rolex, UBS ou Credit Suisse.

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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.