KAPITAL

Vidéosurveillance: un marché porteur aussi en Suisse

La vente de systèmes de surveillance connait une croissance annuelle de 10 à 15% depuis dix ans. Une aubaine pour les entreprises du secteur, qui profitent de l’engouement pour ces équipements.

Centres commerciaux, gares, banques, parkings, transports en communs, écoles et zones résidentielles: les caméras de surveillance se multiplient en Suisse. Selon les estimations, elles seraient près de 100’000 sur le territoire.

Un chiffre très en deçà de celui de la Grande-Bretagne — championne du monde de la télésurveillance avec 5 millions de caméras de sécurité — mais en constante augmentation. «Nous nous attendons à une croissance continue du marché suisse ces prochaines années», anticipe Frédéric Mugnier, responsable commercial chez cialis kamagra uk, une entreprise spécialisée dans la surveillance et la sécurité basée à Bussigny (VD).

En fait, cela pourrait être beaucoup mieux! Selon un rapport de MSI, société spécialisée dans les études de marché en Europe, le secteur de la télésurveillance a connu en France une augmentation de plus de 40% entre 2003 et 2007. Et cela n’est pas fini: entre 2003 et 2012, le cabinet d’études prédit un doublement du marché du matériel de vidéosurveillance et une multiplication par cinq du marché des logiciels associés.

En Suisse, le secteur suit la même tendance: «La demande helvétique en matière de caméras de surveillance est sensiblement la même que sur le marché européen, rapporte Bertrand Schuetz, responsable commercial pour la Suisse d’Axis Communications, le leader mondial des caméras de vidéosurveillance IP (branchées sur Internet). En 2008, notre chiffre d’affaires en Suisse se situait entre 2 et 3 millions d’euros par an, en croissance de 18% au premier semestre 2009. C’est une évolution très légèrement inférieure à celle observée au niveau mondial, où notre chiffre d’affaires a cru de 22% sur la même période.»

«La demande provient essentiellement des entreprises, même si certains particuliers désirent également s’équiper», souligne Frédéric Mugnier. Actuellement, parmi les nombreuses systèmes de télésurveillance en cours d’installation sur l’Arc lémanique, le parking de la gare de Lausanne s’équipe d’un système de surveillance de 50 caméras, celui de Morges place 70 appareils dans ses allées et la commune de Grand-Saconnex ajoute plusieurs appareils à son système actuel.

«Les CFF ont inauguré leurs premières caméras de surveillance dans les années 1990 à la gare de Zurich. A partir, de 2002, nous avons commencé à équiper les voitures des trains, rappelle Frédéric Revaz, le porte-parole de la société de chemins de fers. Nous sommes dans une phase d’extension. Actuellement, 400 voitures sont munies de caméras et notre objectif est de réussir à les équiper toutes, petit à petit.»

«La demande constitue presque toujours une réponse à un dommage suite à un cambriolage, des actes de vandalisme ou à un sinistre, explique Christian Python, directeur et fondateur de l’entreprise Python sécurité à Carouge. Les clients investissent dans ces systèmes pour éviter que de tels événements ne se reproduisent.» Depuis janvier 2008, 61 caméras scrutent sept sites de la commune du Grand-Saconnex.

«Notre ville subissait de très importantes déprédations dont les coûts de réparation avoisinaient 100’000 francs par an, explique Michel Gönczi, secrétaire général de la commune. Nous avons donc eu l’idée d’équiper les sites sensibles, comme le château, de caméras de surveillance.» Facturé 257’000 francs, le système de télésurveillance de la ville aurait déjà permis de réduire les actes de vandalisme. «Il est toujours difficile d’évaluer les effets de la vidéo, poursuit Michel Gönczi. Mais je pense que les coûts causés par les détériorations ont diminué d’un bon tiers depuis la mise en service de nos caméras.»

Si les caméras sont produites par des géants internationaux, comme le constructeur suédois Axis Communications ou les japonais Panasonic et Sony, les entreprises suisses tirent leur épingle du jeu sur ce marché en tant qu’installateurs et grâce à leur capacité d’innovation notamment en matière de logiciels. Lancé par des universitaires genevois, l’entreprise tadalafil united statesbasée à Genève s’est ainsi spécialisée dans le développement de logiciels d’enregistrement numérique NVR (Network Video Recorder), ainsi que dans la mise en réseau de systèmes de vidéosurveillance IP.

«Après 4 ans d’activité, notre chiffre d’affaires dépasse le million de francs avec une croissance de 40% par an, se félicite Sébastien Marti, fondateur de cette startup. Nous commençons par ailleurs à exporter nos produits à l’international, notamment en France et en Allemagne, grâce à notre partenaire Anixter. Notre gros avantage est de proposer un logiciel, ProVision, très pratique d’utilisation, que nous avons développé nous-mêmes. Nous jouons également sur la proximité et la qualité made in Switzerland.» En Suisse romande, STVS compte dans son portefeuille quelques gros clients comme le centre commercial de la Praille, qui a installé 100 caméras il y a deux ans, le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), ou encore les pharmacies Amavita, qui s’équipent actuellement.

Basée à Montreux, la start-up Emitall Surveillance ne compte pas encore autant de clients que STVS. Mais les logiciels qu’elle développe pourraient, à terme, ouvrir une nouvelle ère en matière de vidéosurveillance. En effet, l’un des écueils décriés de ces systèmes de sécurité demeure la protection de la vie privée des personnes. Les caméras des CFF et des TPG (Transports publics genevois), par exemple, filment les passagers qui peuvent être reconnus sur les écrans de contrôle, posant ainsi le problème du respect de leur vie privée. Pour résoudre ce problème, la commune du Grand-Saconnex a opté pour un système de vidéosurveillance où les images sont totalement brouillées. «Seulement en cas d’infractions, les agents municipaux peuvent faire une demande pour décrypter les vidéos», souligne Michel Gönczi.

Idéal pour protéger la vie privée, ce système comporte néanmoins un inconvénient majeur: impossible de suivre les événements en direct: les agents ne peuvent réagir qu’une fois le délit constaté. Pour résoudre ce problème, Emitall Surveillance a développé un algorithme de brouillage en temps réel: «Notre système permet de flouter sur l’image uniquement les données sensibles comme les visages ou les plaques d’immatriculations, précise Touradj Ebrahimi professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et fondateur d’Emitall. Cela permet à la fois à un agent de surveiller en direct un site et donc de prévenir en tant réel la police ou les secours en cas de besoin, tout en protégeant la sphère privée des gens filmés. Si nécessaire, les personnes autorisées détiennent une clé de cryptage qui permet de déverrouiller ultérieurement les images.»

A côté des développeurs de logiciels, les sociétés de sécurité et de conseils (GPA, Protect’Service, Python sécurité…), et d’installation, profitent du boum du marché de la vidéosurveillance. «Actuellement, la vidéosurveillance représente 20% de notre chiffre d’affaires», estime Frédéric Mugnier, responsable commercial chez Protect’Service. Basée à Bussigny, l’entreprise propose plusieurs services allant de la protection de site à la garde rapprochée.

«A chaque fois qu’un client vient nous voir pour installer un système de vidéosurveillance, nous écoutons sa demande, puis nous nous rendons sur le site pour voir les contraintes du lieu, poursuit Frédéric Mugnier. Nous donnons ensuite des conseils sur la mise en place des caméras, comme par exemple éviter de les placer face au soleil.» Difficile en revanche de donner un prix: «Tout dépend de l’endroit à protéger.»

En effet, équiper une petite boutique ou une propriété privée d’un système de vidéosurveillance comprenant quatre caméras et un serveur enregistreur de 500 Gigaoctet, peut se faire à partir de 3’000 francs. Pour un site plus grand, comme le parking des Alpes à Genève dont les 30 caméras sont opérationnelles depuis mai 2009, la facture atteint vite plusieurs dizaines, voir plusieurs centaines de milliers de francs. Un prix justifié au regard des bénéfices supposés de la vidéosurveillance? Les avis sont partagés.

En août 1998, l’explosion d’un paquet bourré de TNT mutilait Philippe de Preux, directeur du département vente de l’entreprise Bobst, à Prilly, ainsi que son assistante. Plus de 10 ans après, toujours rien: le mystérieux auteur des faits court toujours. Pourtant, l’individu ayant procédé à l’envoi du colis piégé avait été filmé par une caméra de sécurité du bureau de poste de Montbrillant, à Genève. Largement diffusée au niveau international, la photo du présumé coupable n’aura jamais permis à l’appréhender. Alors, inutile la vidéosurveillance?

«Il est extrêmement difficile d’évaluer les effets spécifiques de la télésurveillance, constate Frédéric Revaz, porte-parole des CFF. Nous avons noté plusieurs effets positifs comme l’augmentation du sentiment de sécurité chez les passagers, la diminution des actes de vandalisme dans les trains et la baisse des incivilités à proximité des gares. Mais l’installation de caméras s’est accompagnée de plusieurs autres mesures de prévention comme la sensibilisation, la formation des agents de trains ou l’introduction des “grands frères”, il reste donc difficile de savoir l’impact des seules caméras.»

Surnommé «Monsieur Caméra» par ses anciens collègues, Christian Python, fort de plus de 20 d’utilisation des caméras de surveillance, est persuadé de leur utilité. «Grâce à la télésurveillance, j’ai souvent pu prouver la culpabilité de délinquants, explique le directeur de Python Sécurité. A la fin des années 1970, par exemple, de nombreux vols étaient commis dans une entreprise. La direction soupçonnait des étudiants ou des apprentis qui travaillaient là. Grâce à la vidéo, j’ai pu les disculper. La véritable fautive était une responsable au-dessus de tout soupçon. Mais aujourd’hui, il ne serait plus possible de les innocenter par ce procédé car il est désormais interdit de filmer les employés.»

Néanmoins, à plus large échelle, les effets de la vidéosurveillance sont discutés. Pour ses défenseurs, il s’agit d’un outil indispensable pour assurer la sécurité publique. Pour ses détracteurs, en revanche, les caméras coûtent très chers pour un résultat insignifiant. «Le problème c’est qu’il y a très peu d’études sérieuses sur le sujet, explique Touradj Ebrahimi, professeur à l’EPFL. Les seules disponibles proviennent de Grande-Bretagne et sont contradictoires. Certaines montrent un impact significatif sur la délinquance et d’autres indiquent que les actes criminels se sont simplement déplacés en dehors du regard des caméras.»

Pire, selon un rapport publié en mai 2008 par New Scotland Yard, la police anglaise, seuls 3% des délits de rue auraient été résolus grâce aux milliards de livres de matériel vidéo investit par le gouvernement anglais. En cause: la qualité de l’image et le manque de lumière, qui empêchent souvent l’identification des suspects, ainsi que l’impossibilité de mettre un policier derrière chaque écran de contrôle. «Pour bien surveiller un écran de contrôle, il faut une personne pour deux écrans. Une pour cinq, au grand maximum», reconnaît Christian Python.

Un investissement impensable au regard des quelques 100’000 caméras qui seraient présentes actuellement sur le territoire suisse. Résultat: la plupart des vidéos ne sont regardées par personne. «Une majorité de nos caméras tournent en circuit fermé. Les images qu’elles produisent sont seulement enregistrées sans que personne ne les regarde, confirme Frédéric Revaz. Seules les caméras des grandes gares (Bâle, Berne, Genève, Lausanne, Lucerne, Saint-Gall, Winterthur, Zoug ou Zurich) sont reliées à la centrale vidéo de la police ferroviaire. Les autres ne sont regardés qu’a posteriori en cas de délit.»

Une situation qui permet de reconnaitre les criminels, voir de les appréhender mais pas d’empêcher les délits en temps réels. «Depuis l’installation des caméras de vidéosurveillance, nous visionnons les images en cas de déprédations, souligne Michel Gönczi, au Grand-Saconnex. A deux reprises nous avons transmis des photographies à la police qui ont pu aider à l’arrestation des responsables.» Pour permettre une telle identification, les vidéos sont conservées au maximum 96 heures. «Le propriétaire de l’installation reste libre de déterminer le temps de conservation, note Frédéric Mugnier. Par défaut, nos systèmes sont effacent les données après 96 heures afin de rester dans la légalité.»

«Il existe néanmoins une forte demande pour prolonger ces délais, estime Sébastien Marti de STVS. C’est le cas notamment des TPG pour la surveillance de leurs trams et bus et de particuliers qui souhaitent surveiller leur domicile pendant leurs vacances.»

La vidéosurveillance passe sur IP

D’abord analogique, et donc téléphonique, les systèmes de vidéosurveillance migrent vers les réseaux informatiques, notamment Internet (IP). «Lorsque nous nous sommes lancés dans les systèmes tout IP il y a quatre ans, les gens nous regardaient un peu de travers, sourit Sébastien Marti, fondateur de STVS. Le tout IP avait alors la réputation d’être peu fiable. Nous avons pourtant misé sur cette technologie.» Un pari gagnant.

Si la vidéosurveillance sur IP ne représente actuellement que 40% du marché suisse, sa croissance annuelle s’élève à près de 60%. Le leader du secteur des caméras réseau est un constructeur suédois, Axis Communications. Il est suivi de plus loin par un autre spécialiste, Mobotix, et par Sony. En effet, les constructeurs de caméras analogiques ont également pris le virage du numérique. «L’un des avantages de la technologie IP est qu’elle peut s’insérer sur le circuit Internet d’une entreprise, détaille Sébastien Marti. Par exemple, dans le cas du centre commercial de la Praille, nous avons pu utiliser le réseau existant, ce qui a permis une économie significative en matière de câbles à poser.»

Sous l’œil permanent des caméras

Sur le trajet Lausanne-Genève, combien de fois un pendulaire est-il filmé lorsqu’il se rend sur son lieu de travail? La question peut paraître anodine, mais y répondre de manière exacte demanderait une enquête minutieuse. Il y a d’abord, la caméra du Bancomat situé juste au coin de la rue, puis celles du M2, celles de la gare de Lausanne, de la pharmacie, du wagon de train, de la gare de Genève et peut-être bien d’autres encore… Cette évolution est frappante dans l’actualité. Jusqu’aux années 1990, les événements imprévisibles n’étaient que rarement filmés. Il fallait un amateur de vidéo, comme Abraham Zapruder lors de l’assassinat du président Kennedy en 1963 à Dallas, pour qu’un événement inattendu se trouve gravé sur la pellicule.

Aujourd’hui, quelques heures après les attentats de Bombay, en novembre dernier, des vidéos des terroristes en action, issues des caméras de surveillance de l’hôtel Taj Mahal, passaient en boucle à la télévision. «La sous-surveillance, c’est-à-dire les films réalisés par des amateurs, est encore plus redoutable», souligne un juge vaudois. Ainsi, en mars dernier, les derniers instants de l’adolescent meurtrier du collège de Winnenden (Allemagne), ont été saisi par la main tremblante d’un autre élève rivé à son téléphone portable…

Un vide juridique?

«Il existe un certain flou juridique en matière de vidéosurveillance, explique Sébastien Marti, fondateur de la société genevoise STVS. Par exemple, rien n’est exigé en matière de brouillage des images.» Au niveau fédéral, la télésurveillance ne fait l’objet d’aucune législation spécifique, hormis l’interdiction de filmer ses salariés. «Il nous est arrivé de refuser des demandes d’entreprises qui voulaient surveiller les allées et venues de leurs employés», révèle Frédéric Mugnier, responsable commercial de Protect’Service. La Confédération donne simplement des recommandations, comme celle d’effacer les données après 96 heures ou d’avertir les gens qu’ils sont filmés. Les lois sont cantonales en la matière.

Problème: «Faire des lois prend un temps incompatible avec l’évolution des technologies», explique Jean Ruegg, professeur à l’Université de Lausanne et coauteur de l’étude «Vidéosurveillance et risques dans l’espace à usage public», publiée en 2006. Par exemple, les caméras de surveillance actuelles offrent une résolution de 0,5 pixel, ce qui correspond plus ou moins à la définition d’une télévision standard. «Mais des caméras de sécurité à très haute résolution seront bientôt sur le marché, prédit Touradj Ebrahimi, professeur à l’EPFL. Ces appareils permettront par exemple de déchiffrer un SMS à distance.» Faut-il légiférer pour interdire de telles caméras dans l’espace publique ou pour en crypter les images? Quelle que soit la réponse, une telle discussion ne s’ouvrira, politiquement, que bien après l’installation de ces appareils dans les espaces publiques…

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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.