CULTURE

Evolène prépare sa maison du yéti

L’architecte parisien François Roche a développé un concept radical pour le futur Centre de glaciologie du Val d’Hérens, qui doit sortir de terre en 2012. Rencontre.

Avec ses parois entièrement tendues de papier bulle, le bureau d’architectes R&Sie(n), fondé par François Roche et Stéphanie Lavaux à Paris, ressemble à une zone de décontamination. Un moyen peut-être de se protéger du virus conservatiste français. François Roche cultive en effet une image de dissident sur la scène de l’architecture hexagonale où il critique vertement les concours faussés, la cooptation et la culture monarchique de désignation des architectes.

La radicalité de ses projets et son approche conceptuelle de l’architecture le rapprochent davantage de l’art contemporain que des commandes publiques. Son travail s’épanouit donc dans les musées, mais aussi en Thaïlande, où il doit construire un musée futuriste, et surtout en Suisse, sur les hauteurs d’Evolène, pour un centre de recherche scientifique de glaciologie baptisé Cairn qui devrait sortir de terre en 2012.

Devisé à 15 millions de francs, ce projet iconoclaste rappelle tout à la fois un animal préhistorique et un totem chamanique. Rencontre.

Qu’est-ce qui a bien pu amener un architecte parisien, qui a l’habitude de travailler avec des artistes comme Philippe Parenno et Rirkrit Tiravanija, à Evolène, au fond du Val d’Hérens?

François Roche: J’ai étudié à Evolène, en 2000, les mythologies villageoises réelles et supposées de ces peuples des montagnes qui vivaient aux siècles passés dans des fantasmes liés au crétinisme des Alpes. Il existait à Evolène ces histoires de yéti et de monstre des alpages.

J’ai découvert dans ce village une proximité étonnante entre l’homme et l’animal. Toute la vie tourne autour de la vache d’Hérens, des combats de reines. L’hiver, on les compresse dans un demi-sous-sol pour conserver la chaleur et on élève des abeilles dans la maison. Des comportements à l’inverse des règlements sanitaires. A Evolène, l’homme n’est pas coupé de son circuit alimentaire. C’est Rudolf Steiner et l’anthroposophie.

Mes recherches, associées aux travaux de généticiens de l’université de Lausanne, ont donné lieu à un site internet. J’avais cru être un peu polémique dans mes commentaires, mais j’ai été incroyablement surpris du degré d’écoute des Valaisans sur ces pathologies, qu’ils ont certes dépassées, mais qu’ils portent encore dans leur histoire. D’ailleurs, le carnaval d’Evolène n’est pas tant un carnaval que le jour des fous, avec cette façon un peu païenne d’exorciser l’hiver.

Ces recherches m’ont fait rencontrer des gens. Quand la fondation de la Maison des Alpes qui portait le projet de centre et musée de glaciologie depuis longtemps a lancé le concours, elle m’a appelé.

Ces études préliminaires ont-elles nourri votre projet?

A l’évidence. Nous avons essayé de rendre compte à la fois de la mutation du climat et de ce paradis glaciaire perdu dans un contexte villageois chargé de mythologies et d’histoires à faire peur aux enfants. Nous avons rendu une hypothèse dans laquelle on a élaboré un bâtiment hybride qui est lié à la liquidité de la fonte de la glace au printemps. Le ruissellement génère des cavités dans le glacier que nous avons reproduites par des évidemment à l’intérieur du bâtiment. L’extérieur rend pour sa part compte de la nature qui s’est substituée à la nature. Il y a quelques centaines d’années, à la place du bâtiment s’étendait le glacier aujourd’hui remplacé par une forêt de mélèze résineux. L’évolution du climat a déjà eu lieu.

Quel est le sens de ces pics hérissés sur les façades?

Ce sont des branchages qui permettent d’augmenter la couverture neigeuse comme sur les arbres. Le but n’est pas de faire un bonhomme de neige, mais de transformer selon le cycle des saisons l’aspect du bâtiment qui deviendrait en hiver une sorte de yéti. On l’a imaginé de la même façon que les masques chimériques qui dé-diabolisent l’hiver. Ici, ils dédramatisent le réchauffement climatique.

Vous avez conçu aussi un projet de musée à Bangkok dont la façade attire par électrostatique les particules fines de son environnement. Comment définissez-vous votre rapport à l’écologie?

Nous cherchons à éviter la dimension scientifiquement moralisante, cette bonne conscience qui fait que les pires criminels du post-capitalisme peuvent s’enrubanner de grandeur écologique. Qui croit que les architectes, en mettant trois bouts de verdure sur leurs bâtiments ou des façades végétales, vont œuvrer pour l’absorption du CO2 planétaire? C’est une attitude ridicule et coupable. Notre bureau essaie d’amener un regard écosophique, à la fois agissant et qui rend compte de nos propres difficultés à trouver des solutions sans nous satisfaire de gadgets qui, même s’ils vont dans la bonne direction, sont très peu efficaces et empreints de moralisme infantile.

Où en est le projet du Cairn aujourd’hui?

Nous avons réuni environ 10 millions, il manque donc encore 30% du financement. Au niveau de la construction, comme il s’agit d’un chantier sec, cela peut aller très vite. Le Cairn sera entièrement composé en bois de mélèze issu de la filière communale d’Evolène. On utilise ce qu’il y a de plus sophistiqué en termes d’ingénierie de construction avec des machines pilotées par ordinateur de fraisage numérique.

Chacun des 250 éléments qui constituent le monolithe est unique. Il y a une indistinction entre les éléments porteurs, les éléments de façades et les éléments horizontaux, ce qui nous détache de la pensée structuraliste du Corbusier qui établissait une grammaire architecturale en cinq points: le poteau, le plancher, le toit, la fenêtre et la façade. Ici tout est lié, englué, ce qui fait du Cairn un objet novateur.

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Une version de cet article est parue dans le magazine BabooTime.