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Les miracles de la petite puce

Le passeport biométrique réussit à unir contre lui toutes les composantes de la gauche, ainsi que l’UDC et même la NZZ. Avalanche de postures qui tremblent devant Big Brother, mais n’ont pas peur du ridicule.

Quand la NZZ,l’UDC et la gauche entière – des intégristes Verts aux staliniens du POP en passant par les apparatchiks du PS ou les béni-oui-oui du parti chrétien-social – peignent le même diable sur la muraille, on peut penser que c’est pour de mauvaises raisons. Au départ pourtant l’objet du scandale n’avait rien de bien menaçant: un nouveau passeport, même biométrique, la belle affaire.

Et pourtant la mayonnaise de l’angoisse, d’une teinte rouge-brun guère appétissante, a pris, inexorablement. Aujourd’hui, la cause du sésame biométrique, qui doit passer son examen devant le peuple en mai prochain, semble même à peu près perdue.

Car les haut-le-coeur idéologiques de la droite dure comme de la gauche militante semblent bien être largement partagés par le citoyen lambda. Le popiste vaudois Julien Sansonnens, qui a participé activement à la mise sur pied d’un référendum contre le projet d’ordonnance du Conseil fédéral raconte: «Nous avons été surpris par la facilité avec laquelle nous avons récolté les 50’000 signatures.» Bref, une levée de gros boucliers contre trois fois rien, de l’infiniment petit: une puce électronique contenant une photoghraphie numérique et les empreintes de deux doigts.

Mais derrière la petite puce se dressent deux épouvantails colossaux bien identifiables, capables de faire ressurgir les postures figées de droite et de gauche: l’Union européenne et les Etats-Unis. Deux chiffons rouges à même de sécréter la pensée bovine d’une UDC europhobe jusqu’à la stupidité et les réflexes taurins d’une gauche dont l’increvable antiaméricanisme confine à l’autisme bouseux. Ce sont en effet les pays de l’espace Schengen – la Suisse, qu’on le veuille ou pas, en fait bien partie désormais – qui se sont engagés à mettre en circulation ce type de documents, que réclament également les Etats-Unis.

Haro donc sur la petite puce, surtout qu’Eveline Widmer- Schlumpf, lors de sa présentation, a largement pédalé dans la semoule et entretenu le feu de la paranoïa par son manque de clarté sur l’utilisation des données biométriques et les services, personnes, et institutions qui y auraient accès. On a donc eu droit à un beau concert de pythies plus ou moins saoules annonçant l’avènement de Big Brother. «Projet digne d’un Etat policier», vocifère ainsi le Vert zurichois Daniel Vischer – par ailleurs grand copain des démocrates du Hamas.

A quoi, à l’autre bout de l’échiquier, le conseiller national national UDC Lukas Reimann explique, pour justifier le rejet du passeport biométrique, «qu’il en va de la protection de la sphère privée. L’individu et la propriété privée priment sur les intérêts de l’Etat». Voilà donc le miracle accompli par la petite puce: réunir sous une même bannière les droits-de-l’hommiste et ceux qui les injurient habituellement.

Tout cela, on l’a dit, n’est que posture. Frissons de citoyens dont les libertés – les libertés fondamentales s’entend – ne sont aucunement, à aucun moment, menacées. Mais à décrire et dénoncer sur soi la menace d’un Etat grotesquement démonifié, on se sent tout à coup bien important. On s’ennivre à se croire dans la peau d’un résistant héroïque à l’oppresseur de toujours – l’Etat policier pour les uns, l’administration bureaucratique et supranationale pour les autres.

Pourtant, si l’on craint vraiment d’être surveillé dans ses déplacements, il faudrait commencer, en voyage, par renoncer à son téléphone portable et à ses cartes bancaires, moyens plus rapides et plus efficacces qu’un pauvre passeport biométrique pour pister quelqu’un jusqu’au bout du monde.

Même les scientifiques, dont on sollicite l’avis à tours de bras sur cette grave question, y vont de leurs lourdes inquiétudes. Tel Michel Paschalidès, physicien et informaticien à l’EPFL, révélant dans la presse locale qu’avec un passeport biométrique «on pourrait par exemple repérer les rencontres entre un banquier et son client». Affreux, n’est-ce pas?