GLOCAL

Faits et méfaits du prince

Révélé par l’abus d’alcool, le mépris devant la volonté du peuple, ou la précipitation dans les décisions, le goût immodéré du pouvoir annonce bientôt celui de bouchon. La preuve par Garbani et Couchepin.

«Sigrid et moi reproduisions à l’échelle individuelle la logique économique des pays les plus puissants de la planète. Notre dette publique nous indifférait. C’était le fait du prince».

Supposons un instant, une fois reposé le dernier livre d’Amélie Nothomb — un de ses plus mauvais, mais au fort joli titre, «Le fait du prince», justement –, supposons un tout petit instant que la Suisse soit encore un pays puissant. Et voyons ce qui se passe en matière de fait du prince dans cette Confédération supposée bannir tout pouvoir personnel.

Le plan de relance à 700 millions d’abord: décidé dans la précipitation, un peu pour faire comme tout le monde, montrer que face à la crise, on ne reste pas les bras croisés, et vendu en un temps record devant un parlement hébété et sans voix.

Un fait évident du prince qui inspire ce commentaire acerbe à l’économiste Beat Kappeler: «On ne sait pas trop ce qui se passe réellement, mais on agit quand même. Les Suisses apprennent par les médias ce qui se passe à l’étranger et ils croient que les mêmes événements se déroulent ici même. On oublie qu’en Suisse, les salaires ont augmenté de 2,5% cette année et constituent un support massif à la consommation».

Une vraie discussion démocratique, un authentique débat avec le parlement, les milieux économiques, les entrepreneurs, aurait peut être permis d’envisager un autre scénario. Attendre par exemple que la crise soit vraiment là avant d’ouvrir tous les robinets de secours, de gaspiller toutes les réserves. Le Seco vient de rendre ses prévisions qui annoncent le gros du choc pour 2010.

De moindre importance, mais plus caricatural, le comportement de Pascal Couchepin devant le Conseil national, lors de la discussion sur le contreprojet à l’initiative populaire en faveur des médecines naturelles, exclues depuis 2005 de l’assurance de base. Sa majesté Pascal a expliqué tranquillement que même si le peuple se prononçait favorablement, il n’était pas du tout certain que lesdites médecines réintègrent le doux cocon de la Lamal et ses remboursements automatiques.

Prié de répéter par des députés un peu ébaubis d’entendre un ministre prétendre que l’exigence principale formulée dans un contreprojet du Conseil fédéral et que le peuple aurait validé ne serait pas respectée, Couchepin a persisté, droit dans ses tricounis de père fouettard.

Là, ce n’est plus le fait du prince, mais la colère boudeuse d’un enfant gâté à qui on essaie de piquer son beau jouet. Et qui se retranche derrière le flou d’articles constitutionnels pour s’accrocher à une position solitaire, prétendant avoir raison contre tout le monde et niant même la validité d’une opinion majoritaire, c’est-à-dire la prééminence du peuple souverain.

Avec un prince de cet acabit, privilégiant les amitiés face aux principes démocratiques de base, c’est sûr que les copains assureurs peuvent dormir tranquilles. Le député Jean-François Steiert estime qu’il s’agit peut-être, ici, d’un sentiment caractéristique des fins de règne, cette conviction d’un ministre de ne de plus rien devoir ni au peuple ni à ses représentants parlementaires.

D’ailleurs, le lendemain même, à la radio, le plus que jamais monarchique Couchepin plaidait une énième fois pour une présidence de la Confédération prolongée sur deux ans. Histoire sans doute de faire durer le (bon) plaisir.

Dernier indice, in vino veritas, du côté de Neuchâtel: quand le prince, en l’occurrence la princesse Valérie, ne tient pas l’alcool, c’est le goût et les tics inconscients du pouvoir qui se révèlent dans toute leur hideur et virent au goût de bouchon. Avec des commerçants, des fonctionnaires et du petit personnel réduits à des rôles de laquais sans droit ni avenir, traités par dame Garbani de «négros», de «connards » et allégrement menacés de chômage et de mort.

Cela figure d’ailleurs noir sur blanc chez la bonne Amélie Nothomb, toujours dans son «Fait du Prince»: «Il y a un instant, entre la quinzième et la seizième gorgée de champagne, où tout homme est un aristocrate».

Aurait-on, à la buvette du Palais fédéral comme à Neuchâtel, un peu forcé sur les flûtes?