KAPITAL

Les religions au banc d’essai de l’économie

Existe-t-il un lien entre la culture religieuse dominante d’un pays et ses capacités à se développer? C’est la question posée par deux économistes français. Leur réponse est oui.

A l’aube d’un 21ème siècle dont Malraux disait qu’il sera religieux ou ne sera pas, l’Université de Lausanne a inauguré mardi dernier un «Observatoire des religions». Son but, selon son directeur Roland Campiche, est d’analyser et de comprendre le changement de l’ensemble du champ religieux et ses effets sur la vie socioculturelle du pays.

Ses recherches se limiteront à la Suisse, qui vient de connaître, depuis la guerre en ex-Yougoslavie, d’importants mouvements religieux: la présence orthodoxe s’est sensiblement renforcée ainsi que l’Islam, qui compte désormais 300’000 fidèles chez nous. Quelles en seront les conséquences?

A en croire deux économistes français, cela pourrait conduire à des modifications non seulement de la vie socioculturelle mais aussi de la vie économique suisse.

Xavier Couplet et Daniel Heuchenne viennent de réanimer une problématique explorée au début du siècle par Max Weber («L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme») et presque abandonnée depuis.

La religion a-t-elle une influence sur le développement? Le spirituel peut-il influencer le matériel? Dans «Religions et développement» (éditions Economica), les deux auteurs recherchent les facteurs qui influencent le développement et démontrent qu’en ce domaine, l’impact des religions est déterminant.

Tous deux ont travaillé de nombreuses années au développement économique de pays aux religions aussi différentes que le catholicisme et l’animisme ou le protestantisme et l’islam. Cela les a amenés à s’interroger sur d’éventuelles relations existant entre la culture religieuse dominante d’un pays et ses capacités à se développer.

«En moyenne, un juif, un confucianiste ou un protestant produit trois fois plus qu’un catholique, huit fois plus qu’un orthodoxe, quatorze fois plus qu’un musulman et vingt à trente fois plus qu’un bouddhiste, un animiste ou un hindou».

Les auteurs sont parvenus à ce résultat surprenant en se livrant à des calculs en rien sorciers. Ils ont identifié la religion dominante dans 150 pays de plus d’un million d’habitants, puis ont évalué le produit national brut par habitant (PNBH) par année. A quelques exceptions près, quelle que soit l’ère géographique considérée, la hiérarchie ci-dessus se retrouve.

Peut-on en conclure que la religion influence le développement? Les deux économistes ne cèdent pas à la facilité d’une explication monocausale dont il y a toujours lieu de se méfier. La relation n’est pas simple, leur ouvrage nous la présente dans toute sa complexité.

«Systèmes économiques, relations dominés-dominants, ressources naturelles, climat, nutrition, structures familiales seront étudiés en fonction de la question posée: peuvent-ils expliquer les écarts constatés entre les différentes aires religieuses?»

De plus, les modalités d’influence de la religion sur le développement doivent être soupesées très finement. Car si les religions ont une influence sur le développement, ce ne peut être que via certains facteurs servant d’interface.

Ces facteurs sont classés en quatre groupes. Il y a d’abord les préceptes à caractères économiques, tel l’interdit du prêt à intérêt ou l’aumône obligatoire. Ensuite, les préceptes agissant indirectement sur l’économie, en particulier ceux qui se répercutent sur la démographie ou qui obligent à un jeûne par exemple.

Troisième catégorie, les préceptes plus subtils, plus immatériels qui ont une influence tout aussi déterminante: ils forgent chez le croyant la mentalité lui permettant ou non d’agir, de créer, d’innover, de participer au développement. Enfin, les derniers facteurs relèvent de l’inconscient collectif.

Ces différents facteurs ont des effets combinés. Dans certains cas, la religion constitue donc un obstacle au développement alors que dans d’autres, au contraire, un vecteur positif. C’est le protestantisme qui réunit le plus grand nombre de facteurs favorables au développement et l’animisme le plus de facteurs négatifs.

Aucun fondateur de grande religion n’a promis à ses adeptes d’augmenter leur produit national brut. Bien au contraire. Bouddha préconisait le détachement des biens matériels. Jésus voyait lui de sérieuses difficultés pour les riches à entrer dans le Royaume des Cieux. Quant aux récompenses promises aux fidèles d’Allah, elles se situent au Paradis et non ici-bas.

Des religions qui n’avaient qu’un souci spirituel ont permis le développement matériel de leurs ouailles alors que, constatent les deux auteurs, le marxisme qui, lui, s’est attaqué de front à la misère du monde, a conduit à un échec matériel…

Cette étude très bien documentée nous convainc d’une corrélation entre religion et développement. Reste à pondérer l’enchevêtrement des autres facteurs d’influences.

Qu’en pense « L’Observatoire» de Lausanne?

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Geneviève Grimm-Gobat habite dans le Jura suisse. Elle collabore régulièrement à Largeur.com.