LATITUDES

De la vache au caniche: les droits de l’animal examinés par le Parlement suisse

Lundi prochain, le Conseil national débattra d’une proposition concernant les droits des animaux. D’autres voix évoquent une extension de la démocratie aux êtres non-humains. Décadence?

Avec Brigitte Bardot, nous avons découvert l’amour immodéré des animaux associé à la haine du genre humain. Quelle violence dans le deuxième tome de ses mémoires, «Le carré de Pluton»! Violence à l’égard de ses gardiennes qui sont des «putes», de son voisin qui a «une tête de cul», de ses amants qui sont des «cons incapables», d’Yvonne, sa meilleure amie qui «fait chier avec son cancer» et je vous épargne ses gentillesses au sujet «des pédés et des drogués».

Si le terrorisme de BB reste langagier, celui du «Front de libération des animaux» anglais ne se limite plus aux mots. Graham Hall en sait quelque chose. Ce journaliste a été marqué au fer, comme du bétail, pour avoir écrit un article qui dénonçait les méthodes néoterroristes de l’«Animal Liberation Front». L’article a été primé il y a six mois, mais en retour, Graham Hall s’est fait torturer par les activistes de l’AFL, qui ont gravé les trois lettres de leur mouvement dans son dos, au fer rouge.

Dans le même genre, 87 scientifiques américains dont les recherches utilisent des animaux de laboratoire viennent de recevoir des lettres piégées avec des lames de rasoirs. L’expéditeur: un mystérieux groupe de défense des droits des animaux.

Plus près de chez nous, comme on dit, j’ai récemment rencontré des voisins insensibles au sort des Tchétchènes mais inquiets, tenez-vous bien, du sort de «nos pauvres vaches suisses obligées de passer l’hiver au Kosovo».

Comment ne pas penser à cet article d’Umberto Eco qui, au début des années 90, donnait la parole à un cormoran? «Il y a belle lurette que l’être humain n’émeut plus personne, disait en substance le palmipède. J’ai même reçu une offre de l’Unicef. Ils ont essayé de montrer des enfants africains crevant de faim, les yeux dévorés par les mouches et le ventre gonflé. Eh bien, les gens, ça les dégoûte, ils zappent. L’animal, en revanche, ça les attendrit!»

Il est toujours stupéfiant de constater qu’une extrême attention accordée aux bêtes peut très bien coexister avec certaines formes de barbarie à l’encontre des humains. Le code pénal du IIIe Reich ne sanctionnait-il pas «les actes cruels infligés aux animaux, dans le souci de préserver la morale publique, écoeurée et indignée par les brutalités et les mauvais traitements»?

En sombrant dans l’animalolâtrie, les amis des bêtes ne rendent pas service à leur cause. Gardons-nous cependant d’en déduire que tous les défenseurs des animaux méprisent les hommes. Ce serait aussi faux que de prétendre que le respect des personnes humaines s’accompagne d’indifférence à l’égard du monde animal.

A quelque chose, pourtant, malheur est bon. La maladie de la «vache folle» qui semble ignorer les barrières des espèces nous a rappelé que les animaux ne sont pas des machines exploitables à merci. Avec eux, nous formons, que nous le voulions ou non, une communauté. Les intérêts de l’homme et de l’animal ne sont pas opposés mais étroitement dépendants. Le jardinier-philosophe Gilles Clément évoque «une nécessaire réconciliation entre l’homme et la nature».

Bruno Latour vient quant à lui de publier «La politique de la nature», qui tire les conséquence d’une nouvelle forme de citoyenneté sur la planète Terre. Sa suggestion est des plus originales: il s’agit d’élargir la démocratie aux non-humains. Beau et généreux projet dont la concrétisation soulèvera quantités de débats.

Lundi prochain, le 13 décembre, le Conseil national (chambre basse du parlement suisse) se trouvera confronté à certaines de ces questions. Il débattra en effet d’une proposition de sa commission des affaires juridiques qui souhaite que les animaux ne soient plus considérés juridiquement parlant comme des choses, mais puissent devenir titulaires de droits.

«Avant de vouloir traiter les animaux comme des hommes, n’est-il pas plus urgent de cesser de considérer certains hommes comme des animaux?» ou «Ne faut-il pas donner la priorité à l’application des droits de l’homme avant de s’encombrer de droits des animaux?», osent certaines voix discordantes. Les discussions s’annoncent animées.