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Bras de fer sans espoir avec l’Union européenne

La rencontre avec Durão Barroso s’est passée dans les sourires et les amabilités. En coulisses, la Suisse n’a plus qu’un choix limité: aller dans le mur ou céder une part significative de sa souveraineté. La révolte des cantons est programmée.

Ils se sont fait une bouffe. Un business lunch proprement expédié, une heure trente, pas une minute de plus, avec probablement impasse sur les cafés et les barreaux de chaise. D’ailleurs, Hans-Rudolf Merz et Eveline Widmer-Schlumpf ont filé comme des voleurs, attendus sous la Coupole.

C’est donc Pascal Couchepin tout seul et en personne qui s’est coltiné la conférence de presse pour commenter les résultats de cette rencontre avec le président de la commission européenne, José Manuel Durão Barroso. Le Valaisan s’est largement tapé sur le ventre, parlant de climat «fondamentalement positif dans le contexte d’une relation dynamique».

Barroso, lui, a usé du même type de périphrase mélasse, évoquant des «difficultés» oui, mais attention, des difficultés «normales», sentez bien toute la différence.

Il faut dire que nos Trois Suisses étaient arrivés avec un joli sussucre de Noël dans leur hotte: la promesse par le ministre des finances Merz de renoncer au système des sociétés écrans, ces firmes qui n’exercent aucune activité en Suisse mais y ont leur domicile fiscal, et pourraient donner à penser que notre pays est un gros exportateur de pétrole. Une promesse d’autant plus facile à dégainer qu’elle ne dépend pas de la Confédération mais du bon vouloir des cantons.

Particulièrement dans la ligne de mire, les cantons de Vaud et Zoug disent attendre pour voir. L’argentier vaudois Broulis tente de faire croire que le sujet ne le préoccupe pas tant que ça, que la perte pour les caisses cantonales oscillerait entre beaucoup et pas tellement. Non, l’angoisse de Broulis, le pari de Pascal, ce serait plutôt la réforme promise de la fiscalité des familles.

Sauf que les deux sont étroitement liés. Comment imaginer que le canton ait les moyens d’allègements ambitieux si les recettes devaient fondre avec la disparition des fameuses boîtes aux lettres magiques? On a vu ainsi déjà le PS y aller de ses gros souliers et proposer que la fin des sociétés écrans soit compensée par de nouveaux impôts sur les sociétés réelles. Ministre valaisan des finances, Jean-René Fournier, lui, n’exclut pas l’arme du référendum, qui avait déjà si bien marché pour torpiller le fameux paquet fiscal dont les cantons ne voulaient pas.

On peut, bien sûr, avec les eurosceptiques de tout poil taper du poing et du pied, tempêter contre cette tentative bruxelloise de «cartelliser» la fiscalité sur tout le continent. Rappeler que la même Union se montre moins tatillonne envers ses propres paradis fiscaux, irlandais ou luxembourgeois.

Ou, hilarant paradoxe, que l’UBS est allé planquer le magot gracieusement obtenu de la BNS dans un nid douillet des îles anglo-normandes. Ou encore que si la Suisse s’avère fiscalement si attrayante pour les sociétés européennes, ce ne serait pas tant qu’elle le fasse exprès mais plutôt parce que les pays de l’Union auraient la main décidément trop lourde. Ou affirmer qu’un «non» le 8 février à l’extension de l’accord de libre circulation n’entraînerait aucune sanction de la part de Bruxelles.

Ce qui a d’ailleurs déjà été clairement infirmé par l’ambassadeur de l’Union en Suisse, l’autrichien Michael Reiterer, expliquant que la clause dite «guillotine» (à savoir la mise à bas de tous les accords bilatéraux I) s’enclencherait «automatiquement».

Ami reconnu de la Suisse, le commissaire européen Jacques Barrot a poussé la charité jusqu’à ajouter que les accords Schengen aussi risqueraient bien de passer dans la même trappe. Bref, le gâchis intégral ou presque.

L‘assurance de Pascal Couchepin («pour négocier, on ne commence pas par capituler en rase campagne») ni le déni de l’UDC ne doivent masquer cette coriace réalité: tout accord cadre et généralisé dans nos relations avec l’Union européenne passera par un abandon clairement signifié d’une partie de notre sacro-sainte souveraineté. Sans y perdre forcément son âme. A quoi sert d’être souverain mais seul au monde, libre mais en plein désert?

Dans ces conditions, tergiverser ou jouer la montre — ce qui semble être la ligne officielle de la Suisse — a peu de chances de s’avérer la bonne méthode. D’autant que le rapport de force ne nous sera jamais favorable.

Sur des sujets de bien moindre importance que l’évasion fiscale, ou la circulation des personnes, l’Union européenne a montré qu’elle était prête à enquiquiner sérieusement bien plus costaud que la Suisse. Ne vient-elle pas d’édicter de féroces directives anti-dumping contre les boulons chinois?