Peu glorieuse, la crise du PS a au moins donné aux socialistes un leader capable d’affronter la crise.
Ainsi donc Martine Aubry, maire socialiste de Lille, est sortie gagnante à l’arraché de la foire d’empoigne qui vient de plonger le parti socialiste français dans une mémorable tourmente. C’est, disent la plupart des commentateurs, le retour du socialisme archaïque, la victoire d’un conglomérat d’intérêts disparates et contradictoires, le retour à une gestion molletiste du parti – par référence à Guy Mollet, socialiste du Nord lui aussi, qui laissa autrefois la SFIO s’embourber dans les affaires et la guerre d’Algérie.
C’est un point de vue. Mais il souffre d’être prononcé à chaud, sous le coup de la surprise du come back inattendu de la femme que la France sarkozyste (présomptueuse l’an dernier mais plus modeste aujourd’hui) honnissait car portant la responsabilité de la loi des 35 heures.
Si l’on prend la peine de changer d’angle que voit-on?
Une responsable politique formée dans le moule du christianisme social (par son père Jacques Delors) et de la social-démocratie de l’Europe industrielle (France septentrionale, Benelux, Rhénanie) par son engagement militant à Lille. Une femme politique dont le charisme ne saute pas aux yeux, une femme incapable de jouer les bateleuses sur les estrades pour promettre tout et son contraire, mais une femme dont le sérieux et la pondération (un peu trop bourrue) sont évidents. Le pragmatisme aussi. Des qualités qui en ces temps de crise ne sont vraiment pas négligeables.
Une deuxième erreur serait de sous-estimer la légitimité de l’élue en raison de l’étroitesse de sa victoire. On a beaucoup glosé sur la dérive «floridienne» du scrutin socialiste, mais W. Bush, quoique élu sans majorité populaire, et avec seulement quelques grands électeurs d’avance, a tenu sans sourciller pendant quatre ans et raflé de surcroît la mise suivante.
La troisième erreur, commise ces jours-ci par une majorité de médias français, est de se braquer encore et toujours sur la seule échéance de la future (et lointaine: en 2012!) élection présidentielle. En oubliant que la crise – financière aujourd’hui, économique demain, politique après-demain – va obligatoirement bouleverser le champ politique. Si les banquiers sont maintenant encore incapables d’ébaucher la courbe de leur propre crise, la prudence conseille d’attendre un peu avant de parler politique pour 2012.
Une chose semble certaine: au cours des prochains mois, les questions de société, ces gentils hochets que l’on agite devant des citoyens repus pour les faire pencher d’un côté ou de l’autre, vont céder le pas aux problèmes de fond: salaires, emploi, assurances, pensions. Pour réfléchir à ces problèmes et avancer des solutions, Martine Aubry est assurément mieux armée que les deux grands perdants du tournoi, Ségolène Royal et Bertrand Delanoë. Sarkozy aura désormais à qui parler.
On sait aussi que c’est pendant les périodes de crise que les réformes avancent en profondeur. En attaquant de front il y a dix ans la question du travail et en proposant la loi sur les 35 heures, Martine Aubry a fait faire aux Français (et à la société dans son ensemble) un immense pas en avant. Pour la première fois, les gens ont dû s’interroger concrètement sur la question de leur rapport au travail salarié au lieu de le subir comme une fatalité. Le succès n’a pas été au rendez-vous, mais de solides jalons ont été posés.
Cette problématique est appelée à se développer, elle ne pourra que susciter d’autres modes d’application pour répondre à l’urgence demain: l’approche théorique et pratique de la décroissance, du moins de croissance, condition sine qua non à la survie d’un type de société qui puisse encore cadrer avec ce que, depuis deux siècles, l’on appelle communément le progrès.
Le hasard d’une élection biscornue a peut-être bien fait les choses. A une condition: que Martine Aubry ne tombe pas dans le piège de la présidentielle et commence, toutes affaires cessantes, par répondre à l’urgence de l’effondrement économique et social.