KAPITAL

Le télétravail se développe moins vite en Suisse que dans les pays du Nord

Partout en Europe, les habitudes de travail sont en pleine mutation. En comparaison internationale, les Suisses, Français et Allemands se montrent plus réticents vis-à-vis du travail à distance que les pays du Nord.

Plus de 40 millions de personnes à travers l’Union européenne étaient concernées par le télétravail en 2021. Soit, selon l’agence statistique Eurostat, environ 20% des salariés. En matière de recours au télétravail, d’importantes disparités ont été constatées entre les différentes économies européennes, même en temps de pandémie. En tête des nations les plus ouvertes à cette nouvelle forme d’activité, se trouvent les Pays-Bas (53,8 %), la Suède (46,2 %), la Finlande (41 %) et la Belgique (39,9 %). Loin derrière, nos voisins allemands (24,7%) et italiens (14,8%) affichent une attitude plus mesurée.

Sur cette mosaïque à forts contrastes, la Suisse figure, comme à son habitude, dans le camp des modérés. Selon une étude de l’Université de Saint-Gall, un peu plus de 25,8% des actifs télétravaillaient encore en 2022. «Le décalage entre le pourcentage qui télétravaille régulièrement et ceux qui sont quasi-exclusivement au bureau est sans doute dû à notre rapport au lieu de travail. La culture du travail suisse est relativement conservatrice», explique Elisabeth Essbaumer, autrice de l’étude. En cela, la Suisse se rapproche davantage de l’Allemagne que des pays scandinaves ou du Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg).

Au Royaume-Uni, la pratique est partie pour durer

Le Royaume-Uni, qui n’a pas été inclus dans l’étude d’Eurostat, se distingue comme le champion du télétravail depuis la fin de la pandémie. Le pays enregistre en effet un taux variant entre 25% et 40% des actifs pratiquant le travail à distance «dans une certaine mesure», contre seulement 12% en 2019, d’après l’Office national de la statistique britannique (ONS). De plus, 84 % des actifs qui ont dû travailler à domicile en raison de la pandémie avaient l’intention d’adopter un mélange de travail à domicile et en présentiel à l’avenir.

Outre-Manche, les emplois «full remote», qui n’exigent pas de présence au bureau, sont désormais monnaie courante (16%). Cependant, dans un pays qui semble engagé sur une tendance à la stagnation économique depuis plusieurs années, les appels à la fin du travail à distance commencent à se faire entendre. Face à un taux de télétravail si élevé, «pas étonnant que nos résultats en termes de productivité […] soient si mauvais», déclarait, en juillet 2023, le député et ancien ministre conservateur britannique Jacob Rees-Mogg.

«On manque encore de recul pour pouvoir établir avec clarté l’impact du travail à distance sur la productivité, estime quant à elle Elisabeth Essbaumer. Certaines études tendent à démontrer que les employés sont plus efficaces à la maison ou en hybride, alors que d’autres remettent ces conclusions en doute.»

Au-delà des interrogations sur le lien entre télétravail et productivité, certains s’inquiètent de voir les centres-villes se vider. Dans une tribune publiée dans le quotidien The Standard en septembre 2023, le journaliste Dylan Jones s’inquiétait de voir le travail à distance «tuer» la ville de Londres, ses commerces et ses restaurants.

En France, la méfiance face aux changements

L’Hexagone fait presque figure d’exception parmi les pays européens. Début 2022, la Fondation Jean Jaurès publiait une étude démontrant que seuls 34% des actifs français pratiquaient régulièrement le télétravail, contre 43% en Espagne par exemple. En 2023, la tendance semble s’être confirmée. Selon l’Ifo Institue for Economic Research, le nombre moyen de journées de travail effectuées à distance en France en 2023 s’est élevé à 0,6 jours par semaine, contre 1,5 au Royaume-Uni.

Pourtant, dans un pays réputé pour sa réticence face aux changements, la part d’actifs qui pratiquent le «TT» semble, là aussi, plus importante que jamais. Les régions périphériques, souvent délaissées au profit d’une organisation socio-économique centrée sur Paris, n’ont pas oublié la convoitise qu’elles ont suscitée chez les télétravailleurs pendant le confinement. Désormais, elles comptent notamment sur ce levier pour se revitaliser. «Certaines régions françaises tentent d’attirer les indépendants et entrepreneurs itinérants. À Valence ou à Montpellier par exemple, les autorités régionales ont décidé de subventionner la création d’espaces de coworking», note Mélanie Burnier, coprésidente de l’association Coworking Switzerland, et habituée des congrès européens du coworking.

Le Benelux, champion des espaces de coworking

En Suisse, on compte à peu près 300 espaces de coworking répartis surtout dans les grandes villes, bien que certaines se mettent à fleurir dans des localités plus petites, comme Neuchâtel ou Bulle (FR). Mélanie Burnier estime à 20’000 ou 25’000 le nombre de personnes fréquentant régulièrement ce type d’espaces. Le chiffre est en progression, mais reste relativement modeste en comparaison internationale. D’une population à peu près équivalente à celle de la Suisse, la ville de Londres compterait près de 1’400 stations de coworking à ce jour.

Très en avance sur les questions de bien-être au travail, les pays du Benelux sont aussi à l’avant-garde en la matière. La raison en est un facteur non seulement culturel mais aussi géographique. «Les Néerlandais ont depuis longtemps une appétence pour les pratiques novatrice au travail. Ce n’est pas un hasard s’ils se classent au premier rang européen en proportion d’actifs travaillant à temps partiel. Cette région d’Europe est très densément peuplée, et parsemée de villes importantes comme Amsterdam, Bruxelles et Rotterdam.»

Mais ces espaces pourraient à l’avenir s’installer sur des sites situés en dehors des grandes agglomérations. Selon Mélanie Burnier, l’exemple des régions françaises, qui voient dans l’ouverture de ces espaces de travail partagés un moyen de se revitaliser, illustre bien ce changement de paradigme. «La principale raison qui pousse les actifs à rester chez eux, c’est le temps de trajet, les bouchons, les trains surchargés. Certaines entreprises pourraient donc prendre l’initiative de créer des hubs au sein même d’espaces de coworking plus proche du domicile de leurs employés.» La tendance est aussi à l’œuvre en Suisse. Mélanie Burnier a fait le pari d’ouvrir deux espaces à Bulle et à Vevey: «Sept ans après leur ouverture, le succès est au rendez-vous.»

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