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Ces gens qui appellent au secours

Signe d’une époque sans merci: de la rechute de Valérie Garbani à l’expulsion de la famille ukrainienne égarée dans les montagnes, le SOS ne paie plus.

Ce sont des gens qui appellent au secours. Des gens en petite tenue.

D’un côté, un simple tapage diurne, comme l’a confié la police neuchâteloise: «Les agents ont demandé à Madame Garbani de cesser de vociférer» — après que la conseillère communale socialiste eut apparu, comme on sait, samedi dernier, à sa fenêtre, court vêtue, hurlant à l’aide selon certains témoignages, braillant des propos incompréhensibles selon d’autres oreilles.

La magistrate explique, elle, «s’être fait réveillée par les coups» que lui aurait asséné son compagnon et «avoir paniqué». Argument qu’elle avait déjà servi pour minimiser ses précédents esclandres publiques.

Quant au parti socialiste neuchâtelois, par la voix de son président Matthieu Béguelin, il a encore abaissé d’un cran, si c’était possible, le minimum de dignité à exiger d’une personnalité politique en charge d’un mandat publique: «Nous ne cessons de prêcher l’exemplarité des élus. Mais c’est ridicule. Nous voulons les voir devenir des robots?»

L’exemplarité des élus, une chose ridicule? On ne savait pas les socialistes neuchâtelois devenus sarkozo-berlusconiens.

Entre un robot et une femme ne maîtrisant plus rien, il semble pourtant qu’il y ait quand même de la place et de la marge. Par exemple pour un être humain bêtement responsable. Affirmer qu’ «en tant que femme et socialiste, Valérie Garbani s’en sortira», ou que «promettre que l’on va quitter l’homme qui vous tourmente est plus facile à dire qu’à faire» semble tout aussi ahurissant.

Il est d’ailleurs plutôt significatif de constater ce qui choque la presse de boulevard dans cette affaire: non pas que la fonction politique se trouve dévalorisée à ce point, mais plutôt, selon le Matin et son rédacteur en chef, que «la réputation des Romands en prennent un sacré coup» auprès d’une majorité alémanique qui considère depuis longtemps les Welsches comme d’irresponsables leveurs de coudes. Grave de chez grave en effet.

Passons maintenant aux appels au secours de Lina, comme la presse a nommé cette mère de famille ukrainienne. Rappelez-vous, elle et ses cinq enfants, âgés de 9 à 21 ans, tentant d’entrer clandestinement en Suisse depuis l’Italie, s’étaient égarés dans les montagnes en janvier dernier. Après deux nuits à la belle étoile dans un demi-mètre de neige, ces requérants d’asile, peu vêtus eux aussi pour la saison et à cette altitude, avaient frôlé l’hypothermie, avant de lancer un appel au secours par radio. Le plus jeune des enfants échappait de justesse à une amputation du pied.

Hébergée d’abord dans un centre tessinois, juste le temps d’y trouver quelque soutien, dont celui du Conseil d’Etat, la famille ensuite était abruptement déplacée en Valais, sans rime ni raison, par l’Office fédéral des migrations (ODM). Lequel aujourd’hui vient de rejeter leur demande d’asile. L’argument de l’ODM est toujours le même: le pays d’origine — en l’occurrence l’Ukraine — est officiellement considéré comme sûr.

La loi, donc, rien que la loi. Pas la plus petite prise en compte des évènements extraordinaires survenus à cette famille, cette dramatique errance à travers l’Europe, sept ans durant. La Hongrie d’abord, puis l’Italie et deux demandes déposées en Suisse, toutes refusées, avec un sit-in de protestations devant le consulat suisse à Milan, d’où Lina et les siens sont délogés par la police italienne. Et enfin la tentative d’entrer par les montagnes.

Non, l’idée ne semble pas avoir traversé la tête des fonctionnaires fédéraux, qu’un geste humanitaire, vu les circonstances, n’aurait peut-être pas été complètement déplacé. Geste qui aurait pu répondre aussi à un simple et froid calcul. Histoire d’éviter les remous publics et judiciaires prévisibles, au regard de l’émotion et de l’impact médiatique suscitée par l’odyssée de Lina et ses enfants.

«Je suis choqué. Il y aura des conséquences», menace déjà l’avocat de la famille. Un certain Marco. Marco Garbani.