Carla Bruni, Fidel Castro, Roger Federer ou Slavoj Zizek ne sont pas des stars, ni des vedettes, ni des idoles. On les décrit en utilisant un mot d’origine byzantine. Analyse.
La lecture de la presse nous apprend que Kate Moss est une icône terrifiée, que Chuck Norris est l’icône des soldats américains en Irak, qu’Ann Fudge est une icône marketing chez Novartis et Keith Richards la nouvelle icône absolue de Louis Vuitton.
Hier on admirait des vedettes, des idoles, des étoiles, des stars, des rois et des reines. Aujourd’hui, on l’a compris, ce sont des icônes. Il suffit de lire les pages du Courrier International, de Gala, de 20 Minutes, du Temps ou de Libération pour s’en convaincre.
Du grec byzantin «eikona» (image), dans l’Eglise d’Orient, l’icône est une peinture religieuse exécutée sur un panneau de bois. Depuis quelques années, les dictionnaires ont introduit une nouvelle acception de ce terme. La référence divine y laisse place à une autre forme d’incarnation.
Dans le dictionnaire Hachette, l’icône est un stéréotype socioculturel accepté par une partie de l’opinion. Dans le Robert de poche 2008, c’est «un personnage qui symbolise» alors que dans le Larousse de poche 2008, c’est «une personne qui incarne une communauté, un courant, une mode».
Dresser une liste des icônes actuelles est un exercice à remettre sur le métier chaque jour. Après quelques semaines de recherche, voici un échantillon désordonné de mon listage:
Jerôme Kerviel, la nouvelle icône de Facebook
Stress, l’icône du hip-hop suisse et de l’anti-WEF
David Millar, l’icône de la nouvelle vague
Roger Federer, l’icône dans la pub Rolex
Agyness Deyn, l’icône newlook
Valérie Damidot, l’icône de la déco sur M6
Catherine Deneuve, l’icône du papier glacé
Michael Moore, l’icône du documentaire
Kate Hudson, l’icône de mode 2008
Mika, la nouvelle icône pop et la future icône gay
Slavoj Zizek, l’icône de la pop-philosophie
Carla Bruni, l’icône de papier
Lindsay Lohan, l’icône des fumeurs de crack
Benazir Bhutto, l’ex-icône de l’opposition pakistanaise
Dita von Teese, l’icône fétichiste
David Hasselhoff, la nouvelle icône fashion
Raphaël, l’icône des jeunes rêveurs
Alain Bashung, l’icône de la chanson rock
Fidel Castro, l’icône du 20ème siècle
Madonna, l’icône suprême depuis 20 ans
Parmi les «people», honte à qui n’a pas encore été qualifié d’icône! Aussi Paris Hilton n’a-t-elle pas hésité à s‘autoproclamer icône blonde de la décennie.
En cette ère de listes, la liste des listes ne contient bizarrement pas encore la liste des icônes. Une lacune à combler…
En la consultant, on y découvrirait qu’avec des produits de beauté, des vêtements, des meubles ou des marques devenus autant de nouvelles icônes, l’usage d’«icône» n’est plus réservé aux humains. Un exemple, Swatch, qui est «une icône révolutionnaire de la Suisse». Les animaux ne sont pas en reste: ainsi l’ours blanc est depuis peu l’icône du réchauffement climatique.
L’adjectif «iconique» (de l’anglais iconic) est aussi de plus en plus utilisé pour qualifier une photo, une architecture, un look, un vêtement, voire une coiffure.
Cet extension de l’acception d’«icône»* entrera vraisemblablement dans la prochaine édition des dictionnaires à moins… qu’un mouvement iconoclaste vienne mettre fin à cette ère.
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*Son homonyme, l’icone — ce symbole graphique qui représente et permet d’activer une fonction du logiciel — semble subir l’influence de l’iconolâtrie ambiante. Les icones de nos écrans ont débarqué dans les années 1970 dans la langue française (traduction de l’anglais «icon»). Ils s’écrivaient sans circonflexe et étaient masculins, à l’origine. Ils sont en train de se chapeauter et de se féminiser; les dictionnaires les plus récents adoptent l’accent et admettent l’usage de l’un ou l’autre genre.