Les CFF à Bellinzone, Gérard Tschopp à la radio, la fée Micheline à Téhéran: quand l’obstination finit par dévorer l’obstiné.
C’est le syndrome «droit dans ses bottes» popularisé par l’ancien Premier ministre français Alain Juppé. Quelque chose qui ressemble à de l’entêtement, de l’arrogance, une incapacité à la moindre autocritique, un refus obstiné du plus petit mea culpa.
C’est le directeur de la Radio suisse romande (RSR) Gérard Tschopp jurant que non, il n’a jamais cherché à instrumentaliser les experts chargés de dire si oui ou non les photos pornographiques traînant sur l’ordinateur d’un cadre maison étaient de nature pédophile. Et tant pis si l’un de ces trois experts vient affirmer explicitement le contraire. Le même Tschopp qui s’entête aussi à ne voir aucune raison de réintégrer l’informaticien ayant mis à jour le scandale, et bientôt viré pour cela.
C’est Micheline Calmy-Rey définissant, contre toute évidence, le foulard qu’elle portait devant le président iranien Ahmadinejad de «simple accessoire de mode».
C’est le directeur des CFF Andreas Meyer s’obstinant à ne rien, surtout rien, concéder aux grévistes de CFF Cargo, une intransigeance dont l’excès est bien mis en lumière par la formule sans appel du porte-parole des mêmes CFF, l’humoriste malgré lui Jean-Louis Scherz: «Nous négocierons pour autant que les syndicats acceptent nos conditions.» Autrement dit: nous négocierons à condition qu’il n’y ait rien à négocier.
On reconnaît l’entêté majeur à sa manie de répéter en boucle que si c’était à refaire, certes oui il le referait. Quoi? La même cacade, les mêmes erreurs. Micheline Calmy-Rey nous dit donc que oui, oui sans hésiter, elle serait prête à parader à nouveau en madone soumise devant l’allumé Ahmadinejad, «parce que le jeu en valait la chandelle».
Elle a bonne mine, la chandelle: fallait-il vraiment faire le déplacement de Téhéran juste pour réaffirmer des vérités premières dont le pouvoir iranien n’a que faire, du genre, la lapidation ce n’est pas bien, la destruction d’Israël c’est vilain?
Gérard Tschopp, lui, sentant sa défense se fissurer chaque jour un peu plus, est bien forcé d’introduire une légère variante dans l’exercice obligé de l’absence de remords: «Nous avions l’intime conviction d’agir correctement. Je suis en paix avec ma conscience. J’ai agi au plus près des exigences de l’entreprise et dans le respect de la personne. Ce qui ne veut pas dire que je referais exactement la même chose aujourd’hui.» C’est pourtant bien l’un ou l’autre: si l’on a fait tout juste, pourquoi faudrait-il refaire autrement?
Enfin, constatons que pour faire reculer l’entêté, il faut au moins qu’un gros poisson lui tape sévèrement sur les doigts. Ainsi l’obstination de la direction des CFF à ne rien vouloir entendre, à persister dans la fermeture des ateliers de Bellinzone, a fini par faire sortir de sa placidité légendaire le très zen Moritz Leuenberger, enjoignant les pontes du rail à revoir leurs péremptoires conclusions à l’aune «des faits nouveaux apparus ces derniers jours». Par exemple, les chiffres présentés par le gouvernement tessinois qui tendraient à prouver la rentabilité du site de Bellinzone.
Et aussitôt, miracle: marche arrière toute. Les intransigeants d’hier se mettre à retropédaler à pleins jarrets: «Nous réexaminerons en effet toutes les possibilités dans ce dossier. Sans préjugés. Sans vouloir démontrer que nous avions raison depuis le début.» Signé Thierry Lalive d’Epinay, président du Conseil d’administration des CFF.
Quant à Micheline Calmy-Rey, après son coup d’éclat de Téhéran, la voilà à nouveau prête à frapper fort les esprits faibles en allant précipitamment ouvrir une ambassade au Kosovo. L’occasion pour le journaliste D.S Miéville dans «Le Temps» de brosser une esquisse psychologique de la cheffe du département des affaires étrangères, mais applicable aux entêtés de tout bord, à tous ceux passés maîtres dans l’art de pourrir les situations les plus simples: «Un quart de sincère conviction, un quart de sens de la provocation, un quart de pur narcissisme, un quart de vraie naïveté.»