Les partenaires de la chaîne francophone, au Canada, en Belgique et en Suisse, s’opposent au projet de réforme lancée par l’Elysée. Si la France ne revoit pas sa copie, ils menacent de quitter le consortium.
Rien ne va plus entre les partenaires de TV5 Monde: la Belgique et la Suisse menacent officiellement de se retirer de la chaîne de télévision francophone.
Au départ, c’est une note, envoyée début janvier par la France aux différents associés, qui a mis le feu aux poudres. Intitulé «Quel TV5 voulons-nous pour demain?», ce document d’une dizaine de pages présente le projet de réforme de l’audiovisuel extérieur français imaginé par l’Elysée.
«Ce rapport ni signé, ni daté, semble avoir été réalisé un peu à l’emporte pièce», peste Dominique Vosters, directeur de cabinet adjoint de la ministre belge de l’audiovisuel Fadila Laanan.
L’idée phare est la création d’une holding baptisée “France Monde”, qui chapeautera les chaînes de télévision TV5 Monde et France 24, ainsi que la radio RFI.
Pour la France, l’objectif est clair: créer des synergies importantes entre les différentes parties de son audiovisuel extérieur, dont le budget dépasse 300 millions d’euros par an. Cette réforme devrait permettre de réaliser 26 millions d’euros d’économies et 30 millions de revenus additionnels en 2012. Seul problème: TV5 Monde n’est pas l’exclusive propriété de la France. La Suisse, le Canada, le Québec et la Belgique détiennent également une partie du capital (lire plus bas). Ils ont donc leur mot à dire.
«Que la France veuille réformer son audiovisuel extérieur ne nous pose aucun problème, explique le directeur de la TSR Gilles Marchand. Mais cela ne doit pas se faire aux dépens de TV5 Monde. Nous sommes très attachés aux principes d’indépendance, de multilatéralisme et de francophonie liés à la chaîne. Or, de notre point de vue, le projet défendu par la l’Elysée peut les remettre en cause. TV5 ne doit pas devenir la voix de la France mais rester un projet commun de la francophonie.»
Pour mettre en place sa réforme, Nicolas Sarkozy a officiellement nommé le 20 février dernier Alain de Pouzilhac, président de France Monde, et Christine Ockrent, directrice générale de la holding. Une nomination qui suscite déjà des remous: journaliste politique, Christine Ockrent est la compagne du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, l’un des ministres de tutelle de l’audiovisuel extérieur. Le milieu médiatique s’est plaint de ce conflit d’intérêt. Les partenaires de TV5 Monde, eux, n’ont pas eu leur mot à dire.
«Nous avons pris acte de ces nominations puisque personne nous a demandé notre avis. Mais c’est quasiment un diktat», s’emporte Dominique Vosters. Pour Gilles Marchand, «ce n’est pas une question de personne. Le véritable enjeu est la gouvernance de TV5 Monde. S’il s’agit que France Monde dirige TV5 Monde, ce n’est pas acceptable.»
Face à cette levée de boucliers, Alain de Pouzilhac a tenté, dès sa nomination, de rassurer en déclarant que l’une de ses premières démarches serait de rencontrer les partenaires belge, suisse et canadien de TV5 Monde. Dans un communiqué, l’Elysée assure également que «le caractère multilatéral (de TV5Monde) sera respecté et préservé». Pas de quoi apaiser les craintes des partenaires francophones. Fin février, la réunion d’Ottawa, censée aplanir les désaccords, s’est soldée par un échec. «Depuis le début, la position française n’a pas du tout évolué», constate Gilles Marchand. Les discussions devront donc se poursuivre. Les protagonistes ont prévu de se revoir cette semaine.
«Si notre point de vue n’est pas entendu, nous remettrons en cause notre participation dans TV5. Ce n’est pas du tout notre objectif, mais c’est une hypothèse réelle», prévient le directeur de la TSR. Même son de cloche en Belgique: «Si l’esprit francophone disparait, il faudra se demander si nous devons rester», explique Dominique Vosters.
Joint par L’Hebdo, le PDG de TV5 Monde François Bonnemain s’inquiète de l’évolution du dossier: «Pour l’instant, les positions des protagonistes restent très éloignées. Dans ces conditions, il est impossible d’écarter le spectre d’un échec mais je ne veux pas imaginer que cela se termine mal. Pour tous le monde, ce serait une grave erreur de se priver de la vitrine francophone que représente TV5.»
L’implosion de la chaîne serait douloureuse pour la TSR. En 2007, près de 5’000 heures de programmes fournis par la télévision romande ont été diffusées sur les réseaux de TV5 Monde. Ces émissions romandes touchent alors un public international de très grande ampleur: chaque jour, 25 millions de téléspectateurs regardent la chaîne francophone, dans plus de 203 pays. Rien à voir avec l’audience locale de la TSR… Au total, près de 180 millions de foyers peuvent recevoir TV5 Monde, ce qui fait de la chaîne l’un des 3 plus grands réseaux mondiaux de télévision, aux côtés de MTV et de CNN.
Mettre en place un tel réseau de diffusion planétaire nécessite des investissements colossaux. La TSR pense-t-elle à exporter ses programmes à travers d’autres canaux? «Si nous sommes amenés à quitter TV5, nous discuterons certainement avec les autres partenaires afin de créer autre chose. Mais, pour l’instant nous privilégions les négociations», dit Gilles Marchand.
«Une solution pour sortir de la crise serait que les partenaires augmentent leur participation financière», estime François Bonnemain.
Aujourd’hui, la France assume 84% du budget global de TV5 Monde, soit environ 62 millions d’euros (97 millions de francs). Avec une contribution de 7,5 millions de francs par an chacune, la Suisse et la Belgique ne pèsent pas lourd lors des négociations. «L’ensemble des partenaires réfléchissent à rééquilibrer le financement de TV5 Monde», avoue François Bonnemain. Il est déjà prévu que la participation de la Belgique s’accroisse de 500’000 francs par an en 2008. Côté Suisse, une telle hypothèse est à l’étude mais aucun chiffre n’est encore avancé.
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Le capital de TV Monde:
Le capital de la chaîne francophone est détenu par France Télévisions (47,5%), par ARTE France (12,5%), par la TSR (11,11%), par la RTBF (11,11%), par le Consortium Télévisions Canada Québec (11,11%), par l’INA (6,61%), par Jean-François Bonnemain (0,06%), par Thierry Bert (0,06%) et Patrice Duhamel (0,06%).
Le projet de l’Elysée prévoit que l’ensemble des participations françaises (soit 66%) soient transféré à la holding France Monde, détenue à 100% par l’Etat français.
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 13 mars 2008.