Le peintre américain Nicolas Lambelet Coleman, Lausannois par sa mère, nous livre le regard qu’il pose sur le paysage lémanique et sur sa propre «suissité».
Né de parents professeurs d’université, Nicolas Lambelet Coleman a étudié les sciences politiques et les arts visuels. Animé par la passion des arts, qu’il doit à sa grand-mère vaudoise, émigrée aux États-Unis pour poursuivre sa carrière de créatrice de robes, il se consacre à la peinture. Miami, Londres, Paris, Lausanne, il a séduit de part et d’autre de l’Atlantique. Dans sa collection d’aquarelles Clear Blue, il dépeint ses étés au bord de l’eau, dans une ambiance à la fois paisible et enjouée.
L’eau est un élément omniprésent dans votre travail. Que symbolise-t-elle pour vous ?
Je me représente l’eau de différentes façons, et je pense que cela se retrouve dans mes peintures. Cette multiplicité me permet de me projeter aux endroits qui ont forgé mon vécu. Sur Diving into Oregonian Waters, un autoportrait au bord d’un petit lac aux États-Unis, dans un dégradé bleu-vert parsemé de vaguelettes, j’envisage l’eau comme un espace de détente. C’est presque une invitation à la baignade. Dans l’autoportrait Le Vaudois, je dépeins le Léman comme une surface homogène, dont je me tiens à l’écart. L’eau devient alors un objet de contemplation, dont l’immensité me paraît presque intimidante. Je voulais aussi rendre hommage à la multiplicité des tons que nous offre le lac, en fonction de son agitation ou de l’ensoleillement. Dans La Vaudoise, un portrait de ma mère, je représente le lac dans des teintes nettement plus vives.
Vous avez cité Henri Matisse et Pablo Picasso parmi vos influences principales. Existe-t-il des peintres suisses qui vous inspirent ?
Tout à fait ! Ferdinand Hodler est l’un de mes peintres favoris. Plusieurs de ses œuvres exposées au Musée cantonal des beaux-arts à Lausanne sont d’une beauté époustouflante. Grande figure du mouvement moderniste, Alice Bailly (qui avait son atelier de peinture à Lausanne, où une fondation porte aujourd’hui son nom, ndlr) a également été une source d’inspiration pour moi. Dans un registre plus contemporain, je citerais aussi le peintre lausannois Nicolas Party (voir son interview dans The Lausanner n° 8).
Ferdinand Hodler était très inspiré par le paysage suisse et ses lacs, dont il aimait visiblement l’aspect à la fois grandiose et accueillant. Est-ce cette même impression que le paysage vu de Lausanne vous laisse ?
Oui, je pense que les paysages suisses peints par Hodler rendent une impression de divinité et de primauté du paysage sur l’homme. C’est une symbolique qui traduit d’ailleurs assez bien la façon dont les Suisses considèrent la nature qui les entoure. En Caroline du Nord, où j’ai passé la plus grande partie de ma vie, le paysage est souvent perçu comme une entité que les hommes sont censés apprivoiser et dominer. En Suisse, la nature est la toile de fond sur laquelle les humains essaient de trouver leur place, mais dont la présence reste secondaire.
Vous revendiquez volontiers votre identité plurielle. Comment décririez-vous votre sentiment d’appartenance à Lausanne?
Je suis né aux États-Unis, d’un père afro-américain et d’une mère suisse. Personnellement, j’ai cultivé un lien fort avec la région natale de ma mère, ne serait-ce que parce que nous y avons encore de la famille et que nous nous y rendons régulièrement. Mais mon sentiment d’appartenance se heurte souvent à une réalité plus nuancée lorsque je me trouve en Suisse. Je me sens à l’aise à Lausanne, j’y ai mes repères et je me débrouille assez bien en français pour communiquer. Je ressens cependant un écart entre la façon dont je me perçois en tant que Suisse et la façon dont les Suisses me perçoivent, c’est-à-dire comme une personne qui n’est pas du coin. Ce n’est pas un constat amer, j’accepte ma « suissité » pour ce qu’elle est, à savoir l’une des composantes de mon identité, mais pas la seule.
Votre tableau «The Patriot» traite bien de l’identité suisse. Vous vous y représentez dégustant une fondue accompagnée d’un vin blanc. Vous assumez jouer la carte du cliché?
Oui, ce tableau est presque une satire. Je me mets en scène pour renvoyer l’image qu’on peut se faire de la Suisse, du moins quand on n’en connaît que la façade stéréotypée. Manger une fondue et déguster du vin blanc, vêtu d’une chemise rayée, c’est peut-être la façon la plus triviale de se prétendre suisse, à tel point que quiconque peut le faire. En employant ce cliché grossier, je reconnais à demi-mot que mon identité helvétique n’est que partielle. Mais c’est aussi un clin d’œil à une tradition culinaire à laquelle j’ai été initié très jeune par ma mère et que j’ai toujours adorée.
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Les adresses de Nicolas:
La galerie d’art Foreign Agent (Avenue d’Ouchy 64, Lausanne): « J’ai eu la chance d’y exposer mes œuvres entre novembre 2023 et janvier 2024. Au-delà de cela, je trouve leur programme très riche et varié, à la fois très ancré à Lausanne et ouvert sur le reste du monde.»
Le Musée cantonal des beaux-arts (MCBA) (Place de la Gare 16, Lausanne): «J’avoue ne l’avoir visité que récemment, mais la collection du MCBA est superbe. On y découvre notamment des œuvres d’artistes locaux absolument grandioses.»
Le Deck Restaurant (Route de la Corniche 4, Puidoux): « Il offre l’un des panoramas les plus spectaculaires que je connaisse. Tout y est: le Léman, les Alpes, le vignoble de Lavaux. En plus de cela, c’est un endroit très sympathique pour boire un verre ou sortir manger.»
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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (n° 13).