Quitte à ne pas travailler depuis les bureaux de son entreprise, pourquoi ne pas aller dans un autre pays? À taux réduit, ou seulement quelques jours, certaines entreprises l’autorisent. Attention néanmoins à respecter les différentes législations.
«En novembre dernier, avec un groupe de huit employés, nous sommes partis un mois à Bali. Certains ont surfé tous les matins, puis nous nous retrouvions dans des endroits dédiés au coworking dans l’après-midi.» Sven Vetsch, chef de l’innovation et du développement chez Redguard, a adopté le télétravail à l’étranger. La PME spécialisée dans la cybersécurité, avec différents centres à Neuchâtel, Berne et Zurich, propose à ses employés d’allier vacances et travail avec des «workations». Une période durant laquelle le collaborateur occupe son poste à un taux réduit de moitié depuis le lieu de son choix.
L’entreprise d’une centaine d’employés compte environ six demandes par année. «Le plus souvent, ce sont des jeunes attirés par ce qu’ils ont vu sur les réseaux sociaux ou voulant prolonger un voyage. Ces workations sont très appréciées. Les collaborateurs en parlent dans leur entourage, ce qui participe à l’identité et à la culture de l’entreprise.»
La pandémie de Covid a bouleversé les habitudes avec la démocratisation du télétravail. En 2022, un Suisse sur dix exerçait son activité à plus de 50% depuis chez lui, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Une enquête de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publiée en 2023, a conclu que le volume idéal de télétravail serait de deux à trois jours par semaine. Ce niveau intermédiaire permettrait un meilleur équilibre entre vie de famille et vie professionnelle, moins de déplacements, tout en limitant la détérioration de la communication et des échanges de connaissances au sein d’une entreprise.
Cette étude portait sur des employeurs et des employés de 25 pays différents et questionnait autant la productivité que le bien-être. Résultat: 75% des personnes sondées estiment que la flexibilité dans le lieu d’activité est un avantage majeur. Une tendance qu’observe Isabelle Wildhaber, professeure de droit à l’Université de Saint-Gall et fondatrice, en décembre 2022, de Vamoz, une société d’aide aux démarches liées au télétravail à l’étranger. «Depuis sa création, le souhait des entreprises suisses de pouvoir proposer du télétravail à l’étranger a très fortement augmenté. Nous avons encadré des milliers de voyages-travail. Contrairement à l’idée reçue de travailleurs nécessairement allongés sur une chaise longue au bord de la mer, la plupart des demandes que nous traitons concernent des personnes qui souhaitent passer du temps avec leurs proches, pour accompagner leurs enfants en vacances ou s’occuper de membres de leur famille.»
Vérifier les législations
Bien conscients de l’attractivité que le télétravail hors frontières représente, les employeurs tentent de s’adapter, non sans mal. L’OCDE a fixé une limite de 183 jours de travail à l’étranger avant qu’un employé doive cotiser dans le pays depuis lequel il télétravaille. D’autres facteurs, comme le risque pour l’entreprise qui l’emploie d’être considérée comme un établissement installé dans le pays concerné peuvent arriver bien avant cette limite.
«En autorisant le télétravail à l’étranger, une entreprise montre qu’elle sait faire preuve de flexibilité, mais s’expose à de nombreux risques, notamment fiscaux et légaux, explique la professeure de droit. En fonction de la nature et de la durée de l’activité que le travailleur étranger exerce, l’entreprise peut créer un établissement stable sur place et donc être soumise à l’imposition dans ce pays. Une problématique similaire se pose en ce qui concerne les cotisations de sécurité sociale de l’employé. À cela s’ajoutent les règles de protection du travail dans les différents pays – nombre d’heures maximum, jours fériés, temps de pause. Si tous ces paramètres ne sont pas pris en compte, l’entreprise risque des amendes qui peuvent également nuire à son image.»
La possibilité d’exercer une activité professionnelle en dehors de la Suisse dépend du pays choisi, de la durée mais également du poste occupé et des responsabilités associées. «Il faut d’abord déterminer si l’exercice de l’activité est possible depuis l’étranger, dit Frédéric Bracher, responsable des ressources humaines chez Swisscom. Tous les postes ne le permettent pas: une personne employée dans un magasin ou sur un chantier ne peut logiquement pas exercer de télétravail. Il faut aussi prendre en compte le type d’informations traitées. Quelqu’un gérant des données bancaires ou militaires ne peut pas y accéder depuis l’étranger.»
Après la question du type de données vient la sécurité de celles-ci. «Il y a des basiques comme avoir une connexion sécurisée et utiliser un VPN, rappelle la professeure Isabelle Wildhaber. De manière plus pragmatique, il faut veiller globalement au respect de la protection des données et des secrets commerciaux. Je suis toujours étonnée de ce que l’on peut entendre dans le train par exemple.»
L’enjeu des frontaliers
Pour l’entreprise de cybersécurité Redguard, une solution consiste à responsabiliser les employés. «Nous demandons à nos collaborateurs de soumettre leurs demandes six mois à l’avance afin de garantir qu’ils n’auront pas d’obligations de présence pendant cette période. Ensuite, ils doivent signer notre règlement concernant la protection des données, le droit du travail ainsi que d’autres réglementations spécifiques à l’industrie. Ils doivent eux-mêmes s’assurer que les conditions du contrat sont respectées. Bien sûr, nous sommes là pour les aider, mais ainsi les responsabilités sont partagées.»
Une fois la demande acceptée, encore faut-il s’assurer que le contrat soit honoré. «Nous nous basons sur la confiance en nos collaborateurs. Nous ne pouvons pas tout contrôler, concède l’expert en cybersécurité. Il faut accepter qu’il y ait toujours un risque d’être confronté à un problème légal ou que l’employé ne fasse pas ses heures.»
La problématique du télétravail à l’étranger peut également se trouver dans le quotidien d’une entreprise, surtout dans les régions frontalières. «Nous sommes confrontés à ce problème avec nos employés frontaliers, explique Frédéric Bracher de Swisscom. Si un de nos employés venait à travailler à plus de 40% depuis la France, Swisscom risquerait d’être considérée comme un établissement stable établi en France et serait imposée comme telle, ce qui engendrerait des frais considérables. Ces limites sont fixées via des accords variant selon les pays et négociés par la Confédération. À la base, Swisscom exige au moins deux jours de présence au bureau par semaine, lorsque le télétravail est possible. Mais avec cette limite de 40%, nos employés habitant en France doivent venir minimum trois jours par semaine, une différence qui suscite des discussions.»
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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans Blick.