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Sacs d’ordures, sacs d’embrouilles

Le cafouillage du Conseil d’Etat genevois montre qu’il est plus difficile d’importer des ordures napolitaines que de l’argent sale mais sans odeur.

On a les ordures qu’on peut. Pas celles de Naples, non, n’y pensez pas. Pas assez propres, les déchets parthénopéens.

Infréquentable jusque dans ses poubelles, cette Italie du Sud méprisée par les nationalistes de la Ligue du Nord, si contents d’eux-mêmes. Et puis la mafia, ah, la mafia: voilà qui ajoute encore des mauvaise odeurs à la puanteur générale. Donc, Napolitains, vos déchets, gardez-les.

Ou plutôt, envoyez-les en Allemagne. Le Conseil d’Etat genevois gardera ainsi son usine surdimensionnée de traitement des déchets, les ordures continueront probablement de s’entasser à Naples, les Allemands seront un peu plus riches et la camorra ne s’en portera pas plus mal.

Du beau travail, signé Robert Cramer, conseiller d’Etat et conseiller aux Etats et qui, en moins de trois mois, à réussi à démontrer ce que tout le monde savait déjà: que le double mandat politique est une escroquerie, un péché de vanité et de gourmandise, un narcissisme qui se moque des citoyens.

Que le trajet Genève-Berne s’effectue en CFF première classe ou en limousine de fonction n’y change rien: le traitement des dossiers, sans parler de celui des déchets, en pâtit forcément. Même un surhomme du genre de Robert Cramer, même dopé aux apéros officiels, ne peut être à la fois à l’incinérateur genevois et au moulin bernois.

Du côté du rupestre voisin vaudois, comme dirait le maire de Genève, le cumul des fonctions ne réussit pas mieux: depuis qu’il a une fesse à Lausanne et l’autre à Berne, le géant vert Brelaz ressemble de plus en plus à un nain politique.

Quitte à importer quelque chose, mieux vaut donc se contenter de ce que l’on connaît bien et maîtrise mieux que les ordures et surtout qui n’a pas d’odeur. Et dont la Suisse s’est fait une spécialité depuis que sur nos monts le soleil annonce un brillant, et surtout trébuchant, réveil.

Sauf que voilà, un vilain apparatchik hongrois, Laszlo Kovacs, commissaire européen à la fiscalité, lance une nouvelle attaque contre le secret bancaire, lui qui avait déjà proclamé il y a peu, dans la NZZ qui plus est, que la Suisse devra bien dire, plutôt deux fois pour toutes qu’une, si elle est pour ou contre la transparence financière .

Là, le commissaire Kovacs préconise, sur le ton de l’exigence, un abaissement de ce fameux secret bancaire au sein de l’Union européenne — vilain canards visés: l’Autriche et la Belgique, mais aussi la Suisse, histoire que «chaque pays puisse contrôler l’honnêteté de ses contribuables».

Certes Kovacs n’a pas la réputation d’un aigle, lui qui s’était fait piteusement recaler pour incompétence lors de son audition comme candidat au commissariat à l’énergie. Et les banquiers suisses invoquent tranquillement les accords bilatéraux et autres traités signés avec l’Union. Mais cet argument pourrait bien cesser de peser longtemps très lourd.

Le Liechtenstein d’abord s’est fait prendre les doigts dans le coffre de confitures. Et les paradis fiscaux, ensuite, n’ont plus vraiment la cote, surtout lorsque que, comme la Suisse, ils sont en concurrence directe et féroce avec les places fortes financières européennes comme Londres.

Les menaces européennes semblent d’ailleurs se faire de plus en plus musclées. A ce propos, l’ancien ambassadeur Thomas Borer, qui avait débuté sa carrière comme négociateur dans l’affaire des fonds juifs en déshérence et qui donc en connaît un bout en matière de coups de Jarnac, prédit qu’une «grosse avalanche» s’approche de notre pays.

Diagnostic confirmé, dans Le Temps, par la députée bulgare Bilyana Raeva, présidente de la délégation du parlement européen pour les relations avec la Confédération et qui résume ainsi la situation après le refus suisse d’entrer en matière sur le délicat dossier de la concurrence fiscale: «C’est un peu le dilemme de la Serbie avec le Kosovo. Les Serbes ont refusé de négocier et une décision unilatérale a été prise.»

Bigre! A quand l’OTAN bombardant les caves de l’UBS? Les casques bleus semant la désolation et la purification financière dans la campagne zougoise? Rassurons-nous: le peuple suisse semble prêt à se battre valeureusement, lui qui s’oppose à 73% à la levée du secret bancaire.

C’est vrai, ça: le secret bancaire a quand même de sérieux avantages, parfois inattendus. Celui par exemple, et au hasard, qui nous permet de ne pas savoir combien d’argent sale, mais non toxique et sans odeur, les mafieux de la camorra ont déposé dans nos banques de retraitements.