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Grands principes et grosses ficelles

La presse européenne a abondamment relaté les incidents de Berne cette semaine. Paradoxe: le modèle suisse tant vanté par l’UDC peut s’avérer le pire ennemi des blochériens.

Ainsi donc, le bien nommé Volen Siderov, président du bien nommé parti populiste bulgare Ataka, rêve de serrer la main de Christoph Blocher.

Il n’est pas le seul, en Europe, à couver le phénomène UDC d’un œil humide de sympathie. Il y a aussi, à Bruxelles, Bruno Gollnisch, le supplétif de Le Pen, qui préside au parlement européen le groupe «Identité, tradition et souveraineté». Bref, tous les représentants d’une extrême-droite bien présente dans la plupart des pays membres de l’UE, et souvent, comme l’UDC, avec des scores tout sauf anodins.

A tel point que les instances européennes ne semblent pas trop se faire de mouron devant la perspective d’une épidémie de peste brune au cœur du continent, dans cette Suisse censée professer depuis toujours une aversion des extrêmes. Certains, à peine ironiques, font même valoir qu’être nanti d’une extrême-droite forte ferait ressembler un peu plus la Confédération à un état membre.

Outre le côté réjouissant d’imaginer une UDC travaillant à rendre la Suisse un peu plus eurocompatible, ce flegme européen relativise l’impact des réactions plutôt violentes dans la presse étrangère après la lamentable mascarade de la manifestation UDC à Berne le week-end dernier.

Bien sûr, le face-à-face triangulaire UDC-casseurs-extrême-gauche a fait la une du New York Times et les choux plus ou moins gras de la plupart des grands titres européens. Mais ce ne sont que des journaux, des tigres de papiers dont les intérêts professionnels et économiques se rejoignent, comme en Suisse, à faire mousser le thème du péril fasciste.

L’Autriche et la France ne sont pas mortes pourtant de Haider ni de Le Pen. Même si le Front national n’a jamais pu rêver de ces 27% de suffrages dont est créditée aujourd’hui l’UDC.

L’image que nous renvoient les médias et les instances européennes est donc double, d’un pays certes confronté à un parti clairement identifié comme d’extrême-droite, mais qui aurait tort de s’en inquiéter exagérément. On pourra trouver bien légère cette façon de minimiser les capacités de nuisance de l’UDC au seul motif qu’ailleurs, c’est pareil. Mais il faut souligner encore, comme cela a déjà beaucoup été fait un peu partout, sans apparemment trop de résultats, combien la mise en branle des tams-tams indignés et des signaux de fumées alarmistes au moindre rot de l’UDC lui profite et l’engraisse

Ce parti se nourrit de la peur et du dégoût qu’il peut inspirer et il s’en est mis plein la bedaine dans une campagne où la confrontation des programmes a été balayée par la guerre des émotions.

Les partis qui ont tenté de garder un peu la tête froide et de mettre en avant surtout des idées — certes pas bien ébouriffantes — sont ceux, radicaux et socialistes, que les sondages annoncent en recul. Impuissants, les adversaires de l’UDC sont en train de tresser de cordes pour se pendre avec les grosses ficelles que leur tendent les blochériens, jour après jour.

Il y a pourtant d’autres bonnes raisons de relativiser l’importance de l’UDC. A près de 30%, un parti d’extrême-droite, dans n’importe quel pays, serait en mesure de gouverner et d’imposer majoritairement sa loi. Mais pas ici. Grâce à toutes ces particularités d’un système suisse que les blochériens ne cessent pourtant de vanter, mais qui en réalité leur coupe les ailes.

Ainsi voit-on Blocher s’agiter dans l’écurie trop étroite du Conseil fédéral, tenter d’exister, par provocations successives au sein d’institutions taillées précisément pour bâillonner toutes les tentatives de se croire Führer, Duce ou Leader Maximo. Dans leur propre intérêt, les amis l’UDC devraient militer pour une adhésion à l’UE et la fin du modèle suisse.

C’est un peu les fondements de ce modèle que Pascal Couchepin est venu rappeler à Genève en signant, aux côtés d’une improbable brochette d’associations représentant des minorités — musulmans, chrétiens, handicapés, Africains — une charte de bonne conduite politique.

Pas de sermon, a précisé le ministre de l’intérieur et de la culture — rien que cette double casquette sonne comme une incongruité bien confédérale –, non pas de sermons, mais «des principes humanistes» aussi simple que «le respect mutuel, la tolérance» et ce qu’il a appelé «une démocratie plus»: «plus respectueuse des différences, des gens et de l’intelligence des citoyens».

Une démocratie qui ne contenterait pas de «ne pas aller jusqu’à réclamer qu’on arrache les ongles des gens». Une manière de dire que face aux grosses ficelles de l’UDC, mieux vaux actionner les grands principes que les petits calculs.