KAPITAL

Microsoft est un monopole, mais il ne faut pas démembrer la pieuvre

Le procès du siècle pourrait déboucher sur un démantèlement de Microsoft en plusieurs compagnies. Cette solution ne résoudrait rien.

Microsoft jouit d’un pouvoir de monopole. C’est la première conclusion, assez spectaculaire, d’un procès qui pourrait bien déboucher sur le démantèlement du numéro 1 du logiciel. La procédure durera encore plusieurs mois, et il semble à peu près sûr qu’un recours sera déposé, mais déjà, l’option la plus radicale paraît vraisemblable: l’empire Gates pourrait être divisé en plusieurs compagnies indépendantes.

Plusieurs microMicrosoft au lieu d’un mégaMicrosoft? Je ne crois pas que ce soit la meilleure solution. Ce pourrait même être la pire des options possibles.

Dans un marché informatique si vaste et si diversifié, mû par l’innovation et l’inventivité, j’ai longtemps pensé que les petites anguilles, plus agiles, pouvaient venir à bout de la pieuvre de Redmond. Les technologies se transforment. Les PC dans les foyers et les entreprises, qui ont fait la fortune de Bill Gates, laissent progressivement la place à des appareils plus simples (les navigateurs et les consoles Web), plus centralisés (grâce aux terminaux Java) et plus mobiles (les assistants électroniques et les téléphones cellulaires). J’ai longtemps pensé que Microsoft n’allait pas pouvoir se battre dans toutes les directions.

C’était compter sans sa puissance financière. En informatique, comme dans les avions, quand on est riche, on peut se permettre d’arriver en retard. Avec ses milliards de dollars, la firme de Redmond a pu se battre sur tous les fronts. Elle a ainsi organisé l’assassinat de son plus dangereux concurrent, Netscape, en distribuant gratuitement son propre logiciel Explorer – développé bien plus tard – et en exigeant des constructeurs qu’ils l’installent d’office sur les nouvelles machines.

Microsoft a aussi racheté WebTV, leader de son secteur, pour s’imposer du jour au lendemain dans les consoles. Voyant que le langage de programmation Java, inventé par son concurrent Sun, menaçait la suprématie de Windows, le géant a mis sur pied un langage concurrent, ActiveX, et bidouillé les librairies Java pour les rendre incompatibles avec les systèmes d’exploitation différents du sien (et casser le concept même de ce langage informatique universel).

La pieuvre a aussi déployé ses tentacules vers les assistants électroniques ou les téléphones. Elle a signé des partenariats avec un fabricant de mobile (Qualcomm) et développé une version allégée de Windows, baptisée CE, qu’elle entend imposer en la rendant parfaitement compatible avec ses produits de bureautique omniprésents, Word et Excel.

Toutes les batailles ne sont pas encore gagnées et il reste des concurrents solides: Apple, 3Com, Sun ou même Nokia. Mais le passé a démontré que ni les bonnes idées, ni l’évolution naturelle des technologies ne mettront fin à l’insolente suprématie de Microsoft, qui a conduit à des abus désormais avérés.

C’est donc à la justice américaine d’empoigner le dossier. Sera-t-elle à la hauteur du défi, avec ses lois qui datent du début du siècle? Rien n’est moins sûr. On entend que Microsoft pourrait être démantelée, divisée en plusieurs entités concurrentes, comme AT&T – en 1984 – ou la Standard Oil – en 1911 – l’ont été. Chaque unité deviendrait une entreprise spécialisée, l’une dans les systèmes d’exploitation, l’autre dans les logiciels de bureautique, la troisième dans les programmes destinés aux assistants électroniques portables et je ne sais encore.

Mais cela ne changerait pas grand chose car aujourd’hui, Microsoft s’impose comme un acteur surpuissant dans de nombreux secteurs. Même après un démantèlement, les pratiques d’intimidation et les rachats continueraient. Seule différence: la pieuvre unique serait remplacée par un banc de pieuvres. Par ailleurs, la limite entre logiciel et système d’exploitation est de plus en plus difficile à établir, notamment dans le cas du navigateur Explorer. Quant au produit Windows, même isolé dans une entité commerciale indépendante, il resterait en position hégémonique avec 95% du marché.

Pour que la plus grande entreprise du monde cesse de profiter de son monopole, la seule solution serait de la mettre sous contrôle. Comme dit Scott McNealy, le patron de Sun, il faut lui placer un pistolet sur la tempe pendant au moins cinq ans. Autrement dit, le gouvernement américain doit suivre de très près les affaires de Redmond, dénoncer ses pratiques commerciales abusives, interdire tel ou tel rachat.

C’est ainsi que l’informatique pourra résister à la loi du plus riche.