LATITUDES

Le danger des écrans au volant

L’inattention est devenue une des causes principales d’accidents de la route en Suisse. Un phénomène aggravé par les écrans tactiles embarqués et l’utilisation croissante du smartphone en conduisant.

Au volant au beau milieu du trafic, le son familier et joyeux de la notification du smartphone retentit. Pour lire le message, il faut regarder l’écran rapidement. Et pourquoi pas changer la musique, pendant qu’on y est. Ces quelques secondes d’inattention constituent un véritable danger. Le comportement est pourtant devenu courant: 40% des conducteurs suisses utilisent leur téléphone mobile au volant selon les rapports du TCS.

En Suisse, un quart des accidents de la route est lié à l’inattention ou à la distraction, d’après l’association. Chaque année, le phénomène est responsable d’environ 1’200 blessés et plus de 56 décès. En cause: l’impact sur le temps de réaction. Normalement autour des deux secondes, la réactivité s’allonge de 30 à 50% lorsque le conducteur n’est pas concentré. Les effets sont ainsi les mêmes qu’une légère alcoolémie de 0.8‰. La distance de freinage est alors forcément augmentée.

La problématique concerne aussi les autres utilisateurs de la route, tels que les motos, les cyclistes – et notamment ceux sur des vélos électriques –, et les piétons. Pour eux aussi, le smartphone détache de l’environnement et de ses dangers. Ainsi, toutes catégories confondues, trois personnes sont blessées pour cause d’inattention sur la route chaque jour en Suisse.

Écrans tactiles

Les voitures sont aujourd’hui équipées d’écrans tactiles qui permettent de visualiser le GPS, de choisir une musique, de recevoir des messages et des appels. Or, ces écrans constituent des sources de distraction visuelles et motrices majeures pour le conducteur. «Les écrans tactiles embarqués distraient particulièrement parce qu’ils nécessitent non seulement un geste de la main, mais aussi de détourner systématiquement les yeux de la route pour s’assurer de toucher l’écran au bon endroit», explique Christoph Jöhr, responsable de la section comportements routiers au BPA.

Une étude comparée du magazine automobile suédois «Vi Bilägare» a montré que les boutons physiques étaient moins dangereux que les écrans tactiles, notamment parce qu’ils peuvent être utilisés sans quitter la route des yeux. Un constat partagé par le BPA: «Les fonctions utilisées régulièrement tels que la climatisation, les essuie-glaces, le volume ou encore les feux de détresse devraient toujours être accessibles via des commandes physiques. En complément, des commandes par gestes ou des commandes vocales sont envisageables, pour autant qu’elles fonctionnent facilement, ce qui n’est pas toujours le cas dans les véhicules actuels.»

Maintien des distances de sécurité ou réorientation automatique de la trajectoire de la voiture, les nouvelles technologies embarquées facilitent toujours plus la conduite, quitte à détacher le conducteur de la situation. BMW a par exemple lancé cette année en Allemagne des systèmes d’assistance à la conduite qui permettent au conducteur de lâcher le volant pendant de longues périodes. Ils pourront alors dans ce mode semi-autonome regarder Netflix sur l’écran embarqué. Le conducteur doit néanmoins toujours être prêt à reprendre le contrôle. «Les systèmes modernes d‘assistance à la conduite et les véhicules autonomes ont le potentiel de révolutionner le trafic routier, dit Christoph Jöhr. Dans des conditions idéales, ils peuvent même réduire le risque d’accident. Mais de nombreux défis restent à relever en termes de sécurité routière.»

Refuser la distraction

En 2023, 236 personnes sont décédées dans des accidents de la route, et 4’096 ont été grièvement blessées selon les statistiques de l’Office fédéral des routes (OFROU). L’inattention et la distraction constituent désormais une des principales causes d’accidents de la circulation, devant l’alcool. Écrire un message en conduisant multiplie le risque d’accident par six, utiliser le portable par 3,6, alors que programmer le GPS ou changer de musique sur l’écran multiplie les risques par 2,5, selon le Bureau de prévention des accidents (BPA).

Pour conduire concentré, le BPA conseille donc de laisser le smartphone dans le sac, quel que soit le mode de transport et de renoncer à l’utiliser pendant le trajet. «Les différents réglages – GPS, musique, température – doivent être programmés avant de partir afin d’éviter les distractions inutiles. Si le conducteur doit utiliser son smartphone, que ce soit pour écrire un message, changer les réglages ou prendre un appel, il est préférable de s’arrêter hors de la chaussée.»

La police rappelle également que l’utilisation du téléphone peut entraîner une amende de 100 francs selon l’Ordonnance sur les amendes d’ordre (OAO). En cas d’accident, en fonction de sa gravité, l’automobiliste risque le retrait de permis pour une durée d’au moins un mois. L’utilisation d’un kit mains libres n’entraîne aujourd’hui pas de sanctions mais est déconseillée.

Des campagnes de prévention tentent aussi de sensibiliser au sujet. Le BPA propose notamment un kit informatif à destination des entreprises, qui le distribuent à leurs collaborateurs. La campagne européenne «Lâche ton tel» de la Fédération internationale de l’automobile vise quant à elle à sensibiliser les automobilistes, les cyclistes et les piétons aux dangers de la distraction. «La formation des conducteurs constitue un enjeu central, ajoute le bureau. La plupart des auto-écoles enseignent ainsi déjà les différents systèmes d’assistance et l’utilisation des écrans.» Le cadre légal relatif à la conduite automatisée va également évoluer en 2025 avec l’entrée en vigueur d’une ordonnance spécifique. «Ce texte apporte un cadre bienvenu qui devra néanmoins être complété par des mesures d’information auprès des automobilistes.»

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans la Tribune de Genève.