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La peur du gros méchant minaret

L’initiative des milieux nationalistes contre l’érection des «asperges géantes» tient d’avantage du grand guignol que de la défense de l’Etat de droit.

Ils ont Sarkozy, et nous, depuis longtemps, Blocher. Bienvenue au club, dans le cercle choisi de ceux qui osent.

Notre ministre de la justice l’a encore répété ce dimanche: il faut oser. Oser la question des minarets: «Sont-ils des signes de domination qui n’ont pas leur place dans un pays chrétien comme la Suisse?» Oser dire aux musulmans que, pour leur carré au cimetière, c’est macache. Oser remarquer, à ce propos, que «même moi, comme Conseiller fédéral je n’ai pas droit à un régime particulier».

A la fosse commune, donc, ou presque, sans privilège, pompe ni rien, même pas l’assurance d’avoir les pieds tournés vers le Grütli. Oser «ne pas cacher qu’il y a des problèmes et qu’ils sont d’abord causés par des ressortissants des Balkans». Oser «expulser les parents avec leur enfant qui aurait commis un acte criminel». Entre Berne et Paris, il semble, le courant risque de passer comme jamais.

Cette question des minarets, un groupe de citoyens majoritairement UDC, autour du tapageur conseiller national Ulrich Schlüer, souhaite la mettre sur la table. Une initiative, encore une.

Toujours aussi inspiré et délicat dans la métaphore, Oskar Freysinger veut y voir des «asperges géantes» et des «phares du Jihad», sans que l’on sache si cet effort poétique suffira à faire monter la mayonnaise anti-minaret.

Les initiants l’assurent: ils ne veulent pas s’attaquer à la liberté de croyance et de culte en prônant l’interdiction des «asperges géantes». D’ailleurs, les minarets n’ont rien de religieux: ce sont d’abord, mes bien chers frères, des instruments de basse politique à connotation «impérialiste», le symbole d’une volonté musulmane d’imposer la charia en Suisse. Rien que ça.

Moscou, à ses heures glorieuses, invoquait aussi les menaces d’un impérialisme diffus pour réduire en poussière les coupoles d’or et transformer les églises en musée de l’athéisme.

Moscou ne croyait pas au parlementarisme. L’UDC pas d’avantage: l’initiative anti-minarets a été lancée parce que des parlements cantonaux démocratiquement élus ont donné leur aval à l’érection de ces phares belliqueux aux mosquées de Langenthal, Will et Wangen.

Les Eglises catholiques et protestantes se sont déjà, sagement, opposées à cette initiative. Malins, les Evêques suisses suggèrent que, si danger il y a, mieux vaudrait surveiller certaines mosquées ou certains imams que de s’acharner sur les «asperges».

D’autres font valoir qu’à évoquer guerre sainte, wahhabisme et terrorisme, on prêche un peu dans le désert, puisque 90% des musulmans de Suisse sont d’origine balkanique, nourris donc à une tradition religieuse beaucoup moins fervente qu’en Arabie sunnite ou du côté des mollahchus iraniens.

Oui, oui, on sait, le Guide suprême l’a dit (voir plus haut): les balkaniques posent des problèmes. Mais des problèmes qui n’ont rien de religieux. Peut-être qu’une fréquentation plus assidue des mosquées contribuerait à calmer ces têtes chaudes. L’appel du muezzin plutôt que le chant des bastons, des beuveries, des tournantes, des courses poursuites motorisées, dont on ne sache pas qu’elles soient expressément recommandées par le Coran.

L’UDC et ses dirigeants, enfin, invoquent sans cesse la réciproque: des minarets quand il y aura des clochers, partout, en terre d’Islam. Par là même, ils démontrent leur parenté spirituelle avec les moins tolérants des imams.

Blocher, Schlüer, Freysinger: des barbus glabres. A leur décharge, ils ne sont pas, ces jours, les seuls à radoter. Le récidiviste Keckeis, chef de l’armée, a encore frappé, déclarant, à propos de la controverse sur les armes de service à domicile, «qu’un soldat sans arme, ce n’est plus un soldat».

Aussi incongru, en effet, qu’un commandant de corps sans arrogance. Ou un bon musulman sans minaret.