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Blocher, tête de turc et intestins fragiles

Sur le dos du génocide arménien, le chef de l’UDC lance la prochaine campagne électorale et la prochaine offensive contre l’islam en Suisse. Avec l’appui de moins en moins masqué des radicaux.

La victoire donne des ailes. Et des maux de ventre. On ne tient plus Blocher et l’UDC depuis le scrutin victorieux du 24 septembre sur le durcissement de l’asile. La prochaine offensive est programmée: contre la place grandissante de l’islam en Suisse. L’inspecteur Perrin a placé une première banderille en disant son soupçon de futé limier que, peut-être, les femmes musulmanes suisses étaient sponsorisées par Al-Qaida, pas moins.

De la petite bière pourtant en comparaison du coup d’esbroufe de Blocher à Ankara, qui a provoqué un fort raffut dans les medias et la classe politique. Les maux de ventre que déclancherait la norme pénale contre le racisme chez notre ministre de la justice sont un signe fort que l’UDC ne craint plus rien ni personne et va mener une campagne gratinée sur des thèmes situés à l’extrême de la droite, en vue des élections de 2007.

Ce subtil exercice de propagande, consistant à attaquer l’article 261 bis du code pénal à travers l’encouragement prodigué aux Turcs de continuer à nier le génocide arménien, et à lancer une offensive contre l’islam en Suisse à travers un hommage appuyé à cette Turquie tenant depuis 80 ans ses propres barbus éloignés de la sphère politique, valait bien une fâcherie, sans grands risques commerciaux ni politiques, avec la petite et insignifiante Arménie.

D’autant que la réaction indignée de la classe politique a vite tourné au feu de paille. On a parlé d’abord de démission et de non réélection de Christoph Blocher. Mais après une journée de tractations entre les différents groupes, le parlement fédéral a décidé de se taire. «On a perdu une journée à discuter avec des lâches», s’est ainsi exclamé l’écologiste Ueli Leuenberger, co-président du groupe Suisse-Arménie.

Certes, cette norme contre le racisme et le négationnisme est souvent invoquée à tort et à travers pour discréditer une opinion qu’on ne partage pas, mais les tribunaux savent faire clairement la distinction entre le prurit du politiquement correct et les propos réellement racistes. Personne n’a été victime d’acharnement judiciaire en raison de l’article 261 bis. Des intellectuels turcs niant le génocide en sont même sortis indemnes. C’est donc bien réellement le principe véhiculé par la norme – le refus du racisme – qui chatouille les intestins nationalistes du ministre. C’est d’ailleurs ce qu’il a confirmé vendredi à son retour en évoquant «une contradiction irritante» entre la loi contre le racisme et la liberté d’expression.

On pourrait aussi objecter que finalement Blocher en portant son idéologie jusqu’en terre étrangère ne fait pas vraiment autre chose que Micheline Calmy-Rey avec sa neutralité active: les positions systématiquement pro palestiniennes, par exemple, de la ministre des affaires étrangères, reflètent moins la ligne du Conseil fédéral que les a priori du parti socialiste. Sauf que les premiers à vilipender cette neutralité active sont les sourcilleux caciques de l’UDC.

On pourra, surtout, relever la mollesse du parti radical. Il y a eu bien sûr la sortie de Couchepin, jugeant «inconcevable» qu’une norme pénale, approuvée qui plus est en votation populaire, puisse provoquer des maux de ventre chez un ministre de la justice. Mais le colosse de Martigny s’est depuis longtemps affranchi du dogme et ne représente plus guère que lui-même, défendant par exemple les propos du pape sur l’islam, au grand dépit d’une base radicale restée largement laïcarde et mangeuse d’ecclésiastiques.

Pour le reste les «lâches» évoqués par Ueli Leuenberger visaient surtout les radicaux. C’est d’ailleurs le président des radicaux Fulvio Pelli, qui a définitivement torpillé les tentatives d’un front commun anti-Blocher. Et c’est un autre radical, le zougois Rolf Schweiger qui l’a redit, pour ceux qui en douteraient encore: «La plupart d’entre nous revoteront pour Blocher, il y a d’avantage de positif que de négatif dans son bilan.» Pendant ce temps le vice-président du même parti, Léonard Bender, monte sur ses grands chevaux pour rejeter le reproche de s’être vendu à l’UDC en soutenant les lois Blocher. Et d’expliquer que ce soutien n’a eu lieu que parce que ces lois étaient bonnes.

Il pouvait certes y avoir d’honorables raisons au double oui du 24 septembre. Mais le soutien massif de la droite traditionnelle, radicaux en tête, aura peut-être été une double erreur politique, dont les résultats se font déjà sentir: on a renforcé l’aura, la crédibilité, l’audace et le moral de l’UDC à l’intérieur, et contribué à développer une charmante image de la Suisse à l’extérieur. Après avoir en effet reçu les chaudes félicitations de personnages aussi distingués que Le Pen – «La Suisse, un exemple» – ou Jörg Haider -«La Suisse, un modèle»- nous voilà, pour longtemps, grâce aux turqueries de Blocher, affublés d’une réputation de négationnistes à croix blanche. Du beau boulot.