KAPITAL

La Suisse manque de bras

Les jeunes boudent de nombreux secteurs, notamment les apprentissages dans la construction. La libre circulation des personnes ne fournit qu’un début de solution.

A l’approche de la rentrée, quelque 5’500 jeunes Suisses n’ont pas encore trouvé de place d’apprentissage. Une tendance qui devrait se poursuivre jusqu’en 2008 environ, avant le creux démographique attendu. Etrangement, au même moment, 48% des entreprises interrogées par Manpower pour une étude sur l’emploi disent ne pas réussir à repourvoir leurs postes libres. Les secteurs de la construction et du bâtiment sont en première ligne. Les places vacantes dans ce secteur ont atteint une moyenne de 1’768 sur les sept premiers mois de l’année, contre 843 dans la vente et l’administration, selon les chiffres des ORP.

Les autres domaines concernés par cette pénurie de personnel sont l’horlogerie, le secteur médical, les métiers techniques (électricien, mécanicien), l’alimentaire (boucher, boulanger) et la finance. Si pour certains d’entre eux (horlogerie, finance) la pénurie de personnel est avant tout due à la reprise économique – l’embauche n’arrive pas à suivre l’emballement du marché-, les métiers manuels souffrent d’une désaffection plus durable.

«Certaines professions sont à la mode et visiblement les métiers de la construction n’en font pas partie», souligne ainsi Jacques Philipini, le porte-parole de l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT).

Dans une société où l’on passe de plus en plus de temps à l’intérieur et où l’on a pris l’habitude du confort, ces professions difficiles n’ont plus la cote auprès des jeunes, soulignent plusieurs observateurs du marché. En 2006, les entreprises actives dans la construction ont ainsi reçu cinq demandes en moyenne par place d’apprentissage mise au concours, contre 19 pour les places d’employé de bureau, selon le baromètre des places d’apprentissage 2006 de l’OFFT. Tony Pereiro, directeur adjoint d’Adecco Suisse, y voit une conséquence de la tendance entamée dans les années 80 à privilégier la poursuite des études ou les apprentissages d’employé de commerce. «Les professions manuelles ont été un peu oubliées.»

Le bas taux de chômage (3,1% en juillet) en comparaison internationale est également mis en cause. «Le marché du travail suisse est très sensible. Dès que l’économie repart, on est immédiatement confronté à une pénurie de personnel», note Charles Bélaz, le directeur de Manpower Suisse. Face à cela, la libre circulation des personnes avec l’UE, entrée en vigueur en 2004, permet de résoudre en partie le problème.

En 2005, sur les 93’000 ressortissants européens qui ont travaillé en Suisse, plus d’un tiers ont ainsi oeuvré dans la construction. «Ces accords aident un peu à combler les trous, mais il devient difficile de trouver du personnel qualifié, même à l’étranger», relève Charles Bélaz.

Avec l’augmentation du niveau de vie dans les pays méditerranéens, leurs ressortissants «hésitent parfois à venir en Suisse pour gagner 500 ou 600 francs de plus par mois que chez eux», détaille Tony Pereiro. Les cantons frontaliers s’en tirent mieux pour recruter des étrangers, estime pour sa part Martin Fehle, le vice-directeur de la Société suisse des entrepreneurs (SSE), l’association faîtière du bâtiment et du génie civil. La SSE a pris les devants: elle mène depuis plusieurs années une opération de formation en Espagne et au Portugal.

«Les personnes qui ont déjà travaillé en Suisse peuvent suivre une formation conforme aux standards helvétiques chez eux pendant l’hiver, avant de revenir en été.» L’extension de la libre circulation aux nouveaux pays membres de l’UE tombe également à pic. Le maçon polonais pourrait donc bientôt remplacer son compatriote plombier dans l’imaginaire collectif.