TECHNOPHILE

Telecom’99, le salon des communications interrompues

Au salon international des télécommunications, à Genève, les visiteurs semblent soumis à leurs téléphones mobiles.

Mes activités professionnelles m’ont amené à visiter Telecom’99, l’exposition géante qui réunit pendant une semaine à Genève près de 200’000 spécialistes de la communication. Je ne sais pas précisément qui sont ces 200’000 individus: à ce jour, je n’en ai rencontré qu’une petite dizaine, à qui j’ai parlé pendant quelques minutes à peine avant d’être interrompu par la sonnerie de leur téléphone portable. C’est cela, Telecom’99: un lieu de rencontre entre professionnels de la communication où les discussions sont toujours stoppées par les bips cellulaires, où les tête-à-tête sont systématiquement coupés, décapités par l’appel des réseaux.

L’expérience la plus vexante, je l’ai vécue avec une attachée canadienne d’InfoTech qui m’a apostrophé entre deux stands pour me vendre sa compagnie (au sens figuré). Je l’ai écoutée docilement et j’ai répondu à ses questions poliment. Elle a répondu aux miennes gentiment. «Le client est roi et le client c’est moi», me disais-je en l’observant. Avec une conviction qui paraissait réelle, elle a concentré toute son expérience commerciale sur ma personne pendant plusieurs secondes, jusqu’à ce que retentisse la toccata de son téléphone mobile. Elle a empoigné l’appareil d’un geste automatique et dès cet instant, je n’existais plus. En une fraction de seconde, elle m’a zappé de sa conscience pour plonger dans une autre dimension. Son regard s’est absenté. J’en étais réduit au statut d’interlocuteur en attente. Sans relever cet affront, je me suis effacé en lui adressant un petit signe de la main, auquel elle a répondu par un vague sourire.

Quelques minutes plus tard, en passant devant le stand Cégétel, j’ai rencontré un confrère qui voulait à tout prix me faire rencontrer un moustachu goguenard et rougeaud. Je me suis approché mais à peine mon confrère m’avait-il présenté que son téléphone se mettait à sonner. Je me suis retrouvé seul face à ce moustachu à qui je n’avais rien à dire. Embarras. Il m’a tendu sa carte, je lui ai tendu la mienne. Embarras. J’ai prononcé quelques propos de circonstance, espérant secrètement que la sonnerie de mon mobile vienne me libérer. C’est finalement le sien qui a retenti.

J’en ai profité pour m’éclipser et je me suis rendu à un cocktail-rencontre organisé par un opérateur hollandais. Les conversations n’étaient pas inintéressantes, mais à chaque fois qu’un propos retenait mon attention, un appel impromptu venait l’interrompre.

Un peu plus tard, à la conférence de presse d’un ancien monopole, je me suis retrouvé assis entre deux business-clones qui tripotaient leurs mobiles. Il ne les ont pas fait sonner, mais d’autres s’en sont chargé. J’ai entendu toutes les mélodies d’appel imaginables, depuis l’air de «Pop Corn» jusqu’à l’insupportable ouverture du «Guillaume Tell» de Rossini. C’est à ce moment-là que j’ai cru comprendre pourquoi l’alliance de British Telecom et AT&T avait été baptisée «Concert».

En sortant de Telecom’99, j’ai rencontré une amie dans le train. J’ai voulu lui parler de cette journée interrompue par mille sonneries de portables, mais au moment où je commençais ma phrase, son téléphone a sonné.

Pendant qu’elle parlait, j’ai sorti mon assistant électronique de ma poche et j’ai rédigé les dix règles de savoir vivre que vous trouverez ici.