KAPITAL

Les villes deviennent des marques

Le «branding» s’impose comme un outil de promotion efficace pour les destinations touristiques. Mieux: une source de profit.

Les habitants de Genève ou Montreux ne le savent pas forcément, mais ils ont la chance de vivre à l’intérieur d’une marque. Ceux de Saint-Moritz ont même le privilège de vivre dans une marque déposée.

C’est l’effet «branding»: les destinations se vendent désormais comme des cigarettes ou des chaussures de sport. On développe leur notoriété, on affine leur image et on les dote d’un logo «impactant». Avec l’objectif évident de gagner des parts de marché.

Dans ce sens, la Suisse dispose d’un avantage décisif sur ses concurrents alpins: elle abrite plusieurs marques globales dont la notoriété n’a pas grand chose à envier à Disneyland ou Starbucks. Des stations telles que Davos ou Gstaad bénéficient d’une reconnaissance mondiale.

C’est justement pour mesurer la popularité de ces «brands» que Suisse Tourisme a initié l’an dernier un sondage à Paris, Berlin et Londres.

Les enquêteurs ont demandé aux passants de nommer les destinations suisses qui leur venaient à l’esprit. Dans un second temps, les sondés étaient confrontés à une liste d’endroits et devaient indiquer ceux dont ils avaient déjà entendu parler, ce qui a permis d’établir un classement.

Il en ressort que la marque Saint-Moritz — dont la notoriété n’est liée qu’au tourisme — jouit d’une «brand recognition» presque aussi importante que celles des métropoles politiques et économiques que sont Genève, Zurich et Bâle.

La station grisonne fait figure de pionnière dans le branding touristique. Elle a été la première à déposer sa marque auprès de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle en 1930. Cette démarche lui a permis non seulement de protéger son appellation, mais aussi d’en tirer des bénéfices financiers.

«Toute firme qui désire utiliser la marque Saint-Moritz pour promouvoir un produit doit nous en demander l’autorisation, explique Alexandra Blaha de l’Office du Tourisme. Nous acceptons uniquement si l’article est à notre image, c’est-à-dire de haute qualité. Ces alliances nous apportent des revenus qui peuvent atteindre 200’000 francs par contrat».

La station a déjà signé de tels accords avec la société horlogère Omega et avec la manufacture de pulls écossais Hawick Cashmere, dont certains modèles sont ornés du soleil symbole de Saint-Moritz. Le tarif minimum pour une telle reprise de logo est fixé à 5’000 francs.

D’autres stations, comme Zermatt, ont suivi le modèle. «Nous avons déjà une dizaine de partenaires, mais nous en cherchons d’autres, notamment au niveau international, indique Daniel Luggel, responsable marketing à l’Office du Tourisme de Zermatt. Nous sommes d’ailleurs en train de négocier avec la compagnie financière américaine Charles Schwab avec laquelle nous pensons gagner au moins 200 000 francs.»

En attendant, la station valaisanne accorde des licences aux commerçants locaux pour 300 francs par année. Gstaad, qui a déposé sa marque il y a huit ans, procède de manière similaire.

Montreux, qui figure en douzième position du classement de Suisse Tourisme, n’a pas encore déposé sa marque: «Nous y réfléchissons, mais nous n’avons pas suffisamment de moyens financiers pour pousser le branding», dit Harry John, directeur de l’Office touristique montreusien. La station de la Riviera dispose toutefois d’un atout considérable avec l’exportation de son festival: les versions de Singapour, Prague, Atlanta, Shanghai ou Tokyo s’intitulent également «Montreux Jazz», ce qui popula-rise la destination.

Même effet pour Bâle, qui bénéficie des retombées de sa nouvelle foire «Art Basel», organisée à Miami. C’est l’effet paradoxal: en devenant des marques, les villes se délocalisent.

——-

Top 10 des marques touristiques suisses

1. Genève

2. Zurich

3. Berne

4. Saint-Moritz

5. Bâle

6. Lausanne

7. Léman

8. Lucerne

9. Cervin

10. Lugano

(Source: Suisse Tourisme. Sondage réalisé à Londres, Berlin et Paris en 2004.)

——-
Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 14 juillet 2005. Collaboration: Melinda Marchese