Unique en Europe, la formation en signalétique de la HES de Berne vient de livrer sa première volée d’étudiants. Une discipline très en vogue — en attendant la généralisation des GPS personnels.
On entend souvent dire que notre société manque de repères — alors même qu’elle regorge de signaux visuels, informatifs et pédagogiques.
Flèches, pictogrammes, indications diverses… Si le phénomène se poursuit, il sera bientôt difficile de ne pas savoir en tout temps et en tout lieu où nous sommes, où nous devons aller et ce que nous voyons. Serions-nous devenus incapables de nous orienter par nous-même?
Le système fondé sur le «demande ton chemin pour ne pas le perdre» est révolu. D’autant qu’à l’avenir, chacun pourra transporter ses propres systèmes d’orientation GPS miniaturisés. La seule information fiable sur l’ici et maintenant viendra alors du ciel.
Pour l’heure, les nomades contemporains, qui détestent se présenter comme désorientés, consomment de la signalétique à haute dose pour naviguer plus ou moins aisément dans les espaces publics. Omniprésentes, les flèches sont venues remplacer l’index pointé des interlocuteurs d’hier.
Avec des effets parfois inattendus, comme l’autre jour, quand je me suis retrouvée dans des toilettes pour hommes. On me dit que pareille méprise n’a rien d’exceptionnel. La signalétique n’est pas toujours efficace dans sa fonction de lien entre un espace et son utilisateur.
Esthétiser à outrance les pictogrammes et nuire à leur bonne lisibilité: voilà une erreur que ne commettront certainement pas les nouveaux diplômés en signalétique de la Haute Ecole des Arts de Berne. Après deux ans de travaux et un investissement d’une vingtaine de milliers de francs, onze étudiants viennent de terminer des études uniques en Europe.
Catherine Aeschlimann, une artiste neuchâteloise déjà reconnue, était la seule Romande de cette première volée dont Largeur.com avait, à l’époque, signalé l’envol.
Comme ses collègues venus majoritairement du graphisme, mais aussi de la sérigraphie, de la géographie, du journalisme ou de l’électronique, Catherine Aeschlimann a pu étudier durant deux ans les lois et principes qui régissent l’art signalétique avec des intervenants de réputation internationale tels que Théo Ballmer et Ruedi Baur — célèbre graphiste d’origine suisse qui a créé les systèmes d’orientation du Centre Pompidou et du château de Chambord.
Dans «Intégral Ruedi Baur et Associés», son ouvrage le plus récent, le maître signaléticien évoque ainsi l’avenir de cette branche: «Il est facile de prédire que les systèmes de baladeur et autre objet individualisé transportable ont un avenir tout à fait assuré. Ils remplaceront progressivement l’ensemble des guides écrits et oraux. Affirmer que l’ensemble des questions d’orientation et d’information peut, dans un avenir très proche, être assuré par des systèmes de téléphonie et les technologies de communication mobile ne relève pas de la science-fiction.»
Les récepteurs GPS individuels connaissent déjà un grand succès commercial. La quête d’instruments d’orientation a le vent en poupe, alors même que «nous errons sans boussole dans un monde que nous savons manipuler mais que nous ne savons pas orienter», comme le dit la sociologue Danièle Hervieu-Léger.
Se perdre semble être devenu une hantise. Guy Debord, grand défenseur des «dérives urbaines», est mort, et avec lui l’intérêt pour une démarche à portée philosophique: se perdre pour mieux se retrouver.